Céline médecin et écrivain
A l’occasion de la Journée du livre qui s’est déroulée à l’Académie nationale de médecine le 28 septembre 2007, Frédéric Vitoux, de l’Académie française, évoque Céline médecin et écrivain, à partir de son oeuvre Voyage au bout de la nuit. La manifestation se clôt sur un jeu des questions-réponses entre les deux académiciens de l’Académie française, Frédéric Vitoux et Yves Pouliquen. Au cours de la communication, vous entendrez également les remarques de Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine.
_ Louis-Ferdinand Destouches (1894-1961), plus connu sous son nom de plume Céline (prénom de sa grand-mère), fut l’écrivain français le plus traduit et diffusé dans le monde parmi ceux du XXe siècle.
Cette passionnante communication de Frédéric Vitoux consacrée au médecin écrivain Céline, débute par un extrait sonore où celui-ci évoque, avec un ton saccadé qui lui est propre, la place du roman dans notre société.
Remontons le fils du temps pour obtenir les quelques clés nécessaires à la compréhension de la pensée célienne.
En 1932 paraît son premier roman Voyage au bout de la nuit. Il rate de peu le prix Goncourt mais obtient le prix Renaudot. Félicité par le plus populaire des romanciers de l’époque, François Mauriac, Louis-Ferdinand Céline ne semble pourtant pas flatté et lui répond avec une grande liberté :
« […] Rien ne nous rapproche, vous appartenez à une autre espèce, vous voyez d’autres gens, vous entendez d’autres voix. Pour moi, simplet, Dieu c’est un truc pour penser mieux à soi-même et pour ne pas penser aux hommes, pour déserter en somme superbement. Vous voyez combien je suis argileux et vulgaire. Je suis écrasée par la vie, je veux qu’on le sache avant d’en crever, le reste je m’en fous, je n’ai que l’ambition d’une mort peu douloureuse, mais bien lucide et tout le reste c’est du yoyo.
Bien sincèrement je vous prie,
Destouches / Céline »
L’extrait sonore qui suit, une lecture des premières pages de Voyage au bout de la nuit par le comédien Michel Simon, introduit la propre vie de l’écrivain. Dans les pages citées, le narrateur Ferdinand Bardamu s’engage dans l’armée pour combattre les allemands, avant de devenir amer quant à sa vision de la guerre.
Pourtant, le jeune-homme d’alors, Louis-Ferdinand Destouches, fait le choix de s’engager dans l’armée. Blessé le 27 octobre 1914, le maréchal des logis qu’il était se voit conféré par le général commandant en chef la médaille militaire le 24 novembre 1914 « pour avoir porté un ordre sous un feu violent que les agents de liaisons hésitaient à transmettre, et a été grièvement blessé au cours de sa mission »; soit l’exact inverse de son personnage qui tout au long du livre fuit la guerre, prônant un antimilitarisme absolu…
Pourquoi ? Pour Frédéric Vitoux, Céline, blessé au début des affrontements, n’a pas « réellement » connu les horreurs de la guerre. Mais elle est un puissant éducateur pour l’écrivain qui donne un regard à la fois cliniquement désespéré sur l’horreur, la mort, et l’absurdité de la condition humaine... Céline comprend que tous ceux qui souffrent de la médiocrité, trouvent une manière d’être intéressants aux yeux des autres dans la maladie, même s’ils inspirent compassion ou pitié, pourvu qu’ils inspirent quelque chose.
De sa propre blessure, Céline garde de violents maux de tête, des bourdonnements qui vont conditionner ce délire célinien. Réformé, il part dans une colonie au Cameroun en 1916 dans une exploitation forestière ; une expérience toute aussi marquante que celle de la guerre, dénoncée avec ironie dans Voyage au bout de la nuit.
De retour en France, et devenu médecin de banlieue dans un dispensaire (la vie de l’écrivain rejoint en cela la vie du personnage Ferdinand Bardamu) Louis-Ferdinand rêve d’une seule chose : la danse (également omniprésente dans son premier roman). Malheureusement, jamais l’écrivain ne réalisera de chorégraphies.
Toute la complexité de l’écrivain réside dans la coexistence de multiples personnalités, visible à travers ces textes mélangeant à la fois argot et style précieux, signant de manière aristocratique dans sa jeunesse « Louis Des Tousches » et vivant plus tard dans ses haillons à Meudon, épousant en premières noces une fille de notable, puis en secondes, une danseuse.
Ecoutez les détails de cette communication, qui s’est déroulée à l’Académie nationale de médecine le 28 septembre 2007, à l’occasion de la Journée du livre. Elle se termine par un jeu des questions-réponses entre les deux académiciens de l'Académie française Frédéric Vitoux et Yves Pouliquen. Au cours de la commuincation, vous entendrez également les remarques de Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de l'Académie nationale de médecine.
Bibliographie :
- Céline, Voyage au bout de la nuit, éditions Folio
- Frédéric Vitoux, La vie de Céline éditions Folio, 2005