Colloque "Droit et Cinéma" : L’enfance et les enfants
A l’occasion des "Regards croisés droit et cinéma" de la Rochelle, Jean Tulard et Françoise Thibaut, en cinéphiles avertis, nous livrent leurs réflexions sur "le cinéma et l’enfance". Savez-vous qui, au cinéma, déteste les enfants ? Comment naissent les enfants-stars ? Et quels films mettent en scène des enfants assassins ? Avez-vous pensé aux enfants de Louis Malle, qui font souvent le procès des parents ?
L’enfant star, par Jean Tulard, membre de l’académie des sciences morales et politiques
Deux monstres sacrés du cinéma n’ont jamais caché leur horreur des enfants, Alfred Hitchcock et WC Fields.
- « Hitchcock, visitant le musée de la préfecture de police, dont ma mère était alors la conservatrice, et tombant en arrêt devant une gravure représentant un assassin d’enfants murmura que c’était justice car il n’y avait pas pire assassin que les enfants. Il le dit à voix basse et en anglais. Manque de chance ma mère avait été prof d’anglais, elle le regarda avec un air horrifié et il éclata de rire ».
- De son côté WC Fields est toujours flanqué dans ses films d’une horrible marmaille qui le persécute et lui envoie des coups de pieds dans les tibias. Et la haine de Fields pour Chaplin tenait à l’antipathie que lui inspirait ce kid dont on a déjà tant parlé, œuvre larmoyante du grand Charlot.
Héros préféré du 7ème art, l'enfant star est créé par le cinéma, poussé par des parents dont le désir de succès est grand pour leur progéniture. Le premier à avoir immergé est Jackie Coogan, qui tourne son film à 2 ans, et incarne le fameux Kid de Charlie Chaplin, à 6 ans. S'en suivent les grandes stars : Judy Garland, rendue célèbre par le magicien d'Oz, ou Shirley temple, «horrible caniche bouclée» qui devient l'idole de toute une génération par ses interprétations dans des films de John Ford ou Henry Hathaway.
Il y a beaucoup de niaiserie et de sensiblerie dans les œuvres des enfants stars. L'adulte qui écrit l'histoire, abrutit l’enfant. Il veut faire de lui une image idéalisée, une image familiale, quand il n’a pas comme François Truffaut et son Antoine Doinel, la nostalgie de sa propre enfance.
«Mais le cinéma est quand même un art, un art adulte, un art conscient»
Ne parle-t-on pas des enfants de chœur, des enfants sages comme une image ? Pourquoi le cinéma a alors produit autant de films sur les enfants assassins ?
L’enfant assassin est souvent une fillette, inquiétante, sournoise, perverse, angoissante, omniprésente dans des endroits où elle n’a pas à être. C’est Reda dans Mauvaise Graine de Mervin Leroy, qui tue sans remords ni pitié. Ce sont des jumeaux dans « L’autre » de Robert Mulligan qui déploient toute leur ingéniosité pour réaliser leurs crimes.
De tous ces films, il faut en retenir une règle : plus les enfants sont beaux, plus ils sont criminels !
L’enfant n’est plus une proie fragile de redoutables prédateurs mais plutôt les terrifiants instruments de la mort. Les adultes finissent terrorisés par les enfants.
Alors un conseil : évitez les enfants, cela vaudra mieux pour votre intégrité physique et psychique !
Le regard de Louis Malle sur l'enfance, par Françoise Thibaut, correspondant de l'Institut.
Louis Malle aborde des enfants dans ces films tardivement, alors qu’il fabrique du cinéma depuis plus de 12 ans. Ce démarrage tardif va se produire selon un long cheminement intérieur, une longue introspection qui durera toute sa vie. En fait, louis Malle attendra que sa propre mère est disparue pour raconter vraiment ces souvenirs très vifs et très présents de sa propre enfance. Louis Malle adorait sa mère, et cela se voit dans ses films où la question de la mère est primordiale.
«L’enfant de Louis Malle est normal, je dirai presque abominablement normal.
»
L’enfant de Louis Malle est dans son cadre il subit le cadre imposé par les adultes, sa famille, l’école, la pension, la société. Il est bien inséré dans son milieu généralement bourgeois. Ce n’est ni un révolté comme chez Truffaut, ni un provocateur comme chez Bertrand Blier. Il est dedans même s’il n’y comprend rien et sans apparente révolte, du moins au départ. Il a un œil critique et enregistre toutes les situations. Il garde la mémoire de l’injustice comme dans le voleur, ou au revoir les enfants, ou de l’absurdité comme dans le souffle au cœur. Il parle comme un enfant.
Le premier enfant mis en situation et en scène par Louis Malle est dans « le voleur ». Le petit Georges, spolié et volé par un oncle peu scrupuleux. L’enfant écartée de la grande vie bourgeoise se vengera. Il dira « j’ai fait 7 ans de pension, et 7 ans de services militaires, la société me doit 14 ans de liberté ». Il se vengera donc adulte, deviendra voleur de haut vol des nantis qu’il exècre, et spoliera à son tour l’oncle au seuil de la mort, le privant au surplus d’obsèques religieuses.
Malle par naissance et par éducation est lui même un grand bourgeois, capable à l’époque d’autofinancer ses films dans une liberté totale. Il ne se considérera jamais comme appartenant à cette caste tout en ayant les manières et le mode de vie. Il devient ensuite metteur en scènes des apprentissages sociaux les plus importants : le sexe et l’argent.
«Les films de Louis Malle ce sont les procès des mères, de celles qui ne le sont pas
»
Louis Malle, après avoir observé tout au début en noir et blanc la solitude des adultes, met en scène la famille ou ce qu’il en reste. Il met surtout en scène les mères. Les films de Louis Malle ce sont les procès des mères, de celles qui ne le sont pas. Les hommes, les pères sont largement absents comme dans la propre enfance de Louis Malle, étant donné que son père a été réquisitionné dans ses usines du Nord pendant toute la durée de la guerre. Il ne l’a donc pratiquement pas vu pendant 5 ans à un âge stratégique. Ainsi les hommes, les pères sont largement absents des films de Louis Malle, ou apparaissent comme faibles. Les amants mis et remis à la verticale sont des être ennuyeux, incolores.
Cela commence dans la filmographie de Louis Malle avec ces mères qui foutent le camp. Elles foutent le camp avec les hommes, elles vous plantent la pour vivre leur vie. La première fut Jeanne Moreau dans « les amants » en 1958. Une grande bourgeoise de province plante son mari et surtout une petite fille de six ans pour se tirer avec un hypothétiques universitaires en jean et en 2cv. Le film fit scandale non seulement en raison des scènes érotiques mais surtout par cet abandon d’enfant.
Dans «le souffle au cœur» Léa Masari est également une mère marginale. Il y a Leslie Caron dans «Fatal», mère avisée et cruelle, mère toujours absente, qui a épuisé quatre maris et qui scandalise l’amidonnée famille britannique du fiancé de sa fille.
Ces mères indignes viennent vous voir de temps en temps dans votre pensionnat, vous emmène déjeuner au restaurant avec un copain, et puis elles vous plantent là sur le quai de la gare, abaissant leurs voilettes. Mais en même temps ces mères absentes et délurées sont de bonnes mères, elles vous embrassent, elles pleurent en partant, et elles reviennent vous rechercher quand la passion est enfuie, quand la situation bourgeoise.
Ces mères, sans être extravagantes, enfreignent les codes bourgeois. Ces mères sont à la marge, elles transgressent les interdits, la loi du mariage, les conventions. Et les enfants enregistrent, intègrent ces donnés d’une possible transgression. Ils la garderont en réserve dans leur tête et sauront toute leur vie que l’on peut franchir les barrières, aller au delà de la norme reçue. Ce que fit Louis Malle toute sa vie. C’est ca qui est important dans le regard de louis malle sur les enfants mais aussi sur la vie.
Les films de Malle nous disent que les bonheurs et les brisures de l’enfance sont indélébiles : les adultes donnent aux enfants des schémas de conduite ou d’inconduite qu’ils trimballeront en y adhérant ou en les refoulant toute leur vie.
En savoir plus :
- Université de la Rochelle, colloque droit et cinéma
- Jean Tulard de l'académie des sciences morales et politiques
- Ecoutez aussi Jean Tulard lors du colloque de l'année 2009 : Colloque Droit et Cinéma : Le contrat d’un tueur, un contrat comme les autres... au cinéma !
- Et également Le Guide des films de Jean Tulard, vol.4 : les quinze dernières années de la production cinématographique
- Francoise Thibaut, Professeur de droit public et correspondant de l'Institut, (Académie des sciences morales et politiques) a publié :