Morale et communication : les fondements de la société humaine ? Colloque Regard sur l’homme contemporain (2/3)
Qu’ils soient philosophe, théologien, juriste ou scientifique, les intervenants de ce colloque s’intéressent aux dimensions morales, spirituelles et du droit qui font partie intégrante des représentations psychiques et des comportements humains. Regard sur l’homme contemporain est un cycle de trois colloques. Canal Académie retransmet ici le deuxième colloque en trois émissions. Retrouvez dans ce deuxième volet les interventions de Gérard Teboul et Dominique Wolton.
La biologie, la morale et la règle de droit international
Par Gérard Teboul, professeur des Universités, directeur du master 2 Droit de la bioéthique de l'Université Paris Est-Créteil
« Le droit porte une attention certaine à la biologie. Les relations entre la biologie et le droit ont engendré de très nombreuses réflexions. Elles ont conduit à l’affirmation d’une discipline juridique nouvelle : le droit de la bioéthique.
J’envisagerai dans mon intervention, le droit de la bioéthique dans ces seules relations avec la biologie et la médecine humaine.
Certains philosophes ont considéré qu’il y a lieu de distinguer l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité telle que Max Weber l’a mise en évidence.
Les juristes sont intéressés par les liens entre droit et morale. Ils sont liés l’une à l’autre car tous deux sont constitutifs de systèmes normatifs. Il existe des règles de droit et de morale qui sont des règles obligatoires. Cependant, droit et morale s’opposent au regard des conséquences emportées par la nature des règles. En effet, en cas de manquement à la règle de droit, des actes de contraintes socialement organisées permettent pour la sanction du droit, le recours à la force physique. En revanche, le manquement à la règle de morale ne s’accompagne pas d’actes de cette nature. Il s’accompagne simplement d’une désapprobation de la conduite contraire à la norme.
Le droit et la morale doivent également être analysés au regard de l’application du droit. Les “normativistes” considèrent que respecter une norme juridique, c’est agir par essence moralement. Cela soulève des difficultés car les normes ont un contenu. Or le contenu peut varier selon les Etats. Il en résulte que respecter une norme juridique, c’est se comporter moralement, relativement à l’ordre juridique au sein duquel existe cette norme. On voit ainsi apparaître l’idée d’une relativité des morales et à cet égard une appréciation subjective concernant le caractère moral des normes juridiques étatiques. On a d’ailleurs une illustration très nette dans le cadre de la gestation pour autrui qui est autorisée dans certains Etats et interdites dans d’autres.
Compte-tenu de cette diversité des morales, il apparaît que la règle de droit international présente un intérêt certain. La règle de droit international est unique, et par conséquent elle permet d’éviter les conflits entre les droits nationaux. Et son respect par essence morale permet d’éviter la relativité des morales. […] »
Écoutez la totalité de l’intervention de Gérard Teboul
L'Homme face à la communication humaine : Idéal et contradiction
Par Dominique Wolton, directeur de l'Institut des sciences de la communication du CNRS
« Depuis le XVIIe siècle, nous observons une révolution extraordinaire de l’information et de la communication, parallèle au mouvement de l’émancipation de l’individu, à l’ouverture de la société et à l’avènement de la démocratie. Ces deux concepts ont été cousins germains pendant des siècles.
La question théorique politique, culturelle, humaine et morale qui se pose depuis la fin du XXe siècle, c’est la rupture entre information et communication et le fait que leurs destins sont de plus en plus différents.
Le point commun entre l'information et la communication, c'est la course au progrès. Téléphones, radios, télévisions, ordinateurs, réseaux… En moins d’un siècle la totalité des conditions de communications interpersonnelles sociales et mondiales ont changé. Mais ce progrès formidable des techniques empêche d’aborder la question de rupture entre communication et information.
Pendant des siècles, informer, c’est communiquer. La rupture intervient au XXe siècle. On produit beaucoup plus vite beaucoup plus de messages à destination d'un public de plus en plus nombreux. Mais ces hommes et ces femmes, ces “récepteurs”, se mettent à résister poliment, silencieusement.
Et voici la question théorique qui nous fait face : informer ne suffit plus à communiquer. Nous sommes face à des millions d’informations et on nous en balance de plus en plus avec la numérisation, les bases et les banques de données. Non seulement l’être humain, l’être politique, l’être culturel ne peut pas absorber un tel flot d'information, mais il n'en a pas envie.
Nous sommes 6,5 milliards sur Terre avec 5,5 milliards de postes de radio, 4,5 milliards de postes de télévision, 3 milliards de téléphones portables et 2 milliards d’ordinateurs.
Le plus simple, c’est le message. La communication en revanche c'est plus compliqué, ça nécessite une relation entre deux individus, deux cultures, deux sociétés... C’est le début du désordre.
La communication, c’est de la négociation pour sortir de “l’incommunication”. Une famille, un couple qui dure, c’est de la cohabitation. On le fait dans le cadre de la famille, de l’Europe et dans la mondialisation. Ce concept de communication est donc un concept politique et pas un concept technique. Vous pouvez mettre tous les ordinateurs possibles entre la Palestine et Israël, ce ne sont pas les techniques qui font que les hommes arrêtent de se faire la guerre.
Mais comme la performance technique est extraordinaire et qu'elle ne cesse de s’améliorer, on court après la technique comme des fox terrier. Si la technique nous séduit autant, c'est parce que selon moi nous butons très vite sur la communication.
Communiquer c’est négocier. Et quand ça se passe bien, on cohabite » .
Écoutez la totalité de l’intervention de Dominique Wolton
En savoir plus :
Poursuivez l'écoute des interventions du colloque Regard sur l"homme contemporain qui avait lieu en novembre 2010 à l'Institut de France :
- L’influence de la spiritualité dans le comportement humain. Colloque Regard sur l’homme contemporain (1/3)
- Agir et ressentir. Colloque Regard sur l’homme contemporain (3/3)
Et accédez au premier cycle de colloque Regard sur l'homme contemporain qui avait lieu en juin 2010 :
- La génétique et l’immunologie pour mieux comprendre l’homme. Colloque Regard sur l’homme contemporain (1/2)
- La psychologie cognitive et le rapport sience/politique pour mieux comprendre l’homme. Colloque Regard sur l’homme contemporain
Le troisième et dernier cycle se déroulera en juin 2011. Entrée libre sur inscription, à l'adresse suivante : www.hommecontemporain.org
Bérénice Tournafond est l'organisatrice du colloque. Elle est juriste, diplômée d’étude supérieure en droit, chargée d’enseignement à l’Université de Paris XII et chef d’entreprise. Elle anime depuis plusieurs années, avec la participation d’académiciens, d’universitaires et de professionnels, un groupe de réflexion sur le système politique économique et social avec la préoccupation principale de replacer l’Homme au cœur de ces sujets et de lui redonner dans la société une place qui soit conforme à ses aspirations profondes.
Elle a organisé plusieurs colloques sur l’identité, la justice, le logement, la médecine, la participation à la vie politique… Elle réfléchit entre autres sur l’incidence émotionnelle du droit et des systèmes politiques sur l’homme.
Elle est l’auteur de plusieurs articles et coauteur de l’ouvrage La démocratie d’apparence édité par François Xavier de Guibert.