Bernard Buffet, peintre de la solitude
Bernard Buffet est de ces peintres qui ont connu très jeune un succès fulgurant, puis ont été boudés par la critique. Il a été reconnu à juste titre comme un peintre majeur du XXesiècle par l’Académie des beaux-arts, et élu membre dans la section Peinture en 1974. Cette émission propose un portrait de l’artiste ainsi qu’un regard critique sur certaines de ses oeuvres, en compagnie de Lydia Harambourg, historienne d’art et correspondant de l’Académie des beaux-arts. Emission réalisée dans la Galerie Maurice Garnier, entièrement consacrée à Bernard Buffet.
_
Né le 10 juillet 1928 à Paris, Bernard Buffet entre en 1944 à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts dans l'atelier de Narbonne. Après deux années d’études, il décide de travailler seul. En 1948, avec Bernard Lorjou, il est, à 20 ans, lauréat du Prix de la Critique. En 1955, il obtient la première place au référendum organisé par Connaissance des Arts afin de désigner les dix meilleurs peintres de l’après-guerre. Depuis 1949, Bernard Buffet expose chaque année à Paris. Il fut élu membre de l'Académie des beaux-arts, le 13 mars 1974, au fauteuil de Paul Jouve.
L'artiste s'est donné la mort le 4 octobre 1999.
Peintre de l’après-Seconde Guerre mondiale, Bernard Buffet sera un artiste essentiellement figuratif. Facilement reconnaissable par le grand public grâce à son trait aigu, il sera boudé par la critique depuis le début des années 1960, alors même que le peintre a connu très jeune un fulgurant succès.
Son trait, fait de lignes noires allongées, est sec, tranchant, acéré. La palette est faite de gris, d’ocre, de noir, de brun, des couleurs qui laissent transparaître l’angoisse existentialiste du peintre.
A propos de Lydia Harambourg:
Lydia Harambourg est historienne, critique d’art et écrivain, spécialiste de la peinture du XIXe et XXe siècle, particulièrement de la seconde Ecole de Paris. Ses dictionnaires sur L’École de Paris 1945-1965 et Les peintres paysagistes français du XIXe siècle sont des références incontournables dans l’historiographie de l’art. L’ouvrage L’Ecole de Paris a d’ailleurs reçu le Prix de Joest de l’Académie des beaux-arts en 1993.
En outre, Lydia Harambourg a écrit des nombreuses monographies. Elle vient de publier un livre sur Bernard Buffet et la Bretagne aux éditions Palantines (2006).
Lydia Harambourg, tient depuis 1998 la chronique hebdomadaire des expositions dans La Gazette de l’hôtel Drouot.
Elle a été élue en 2007 Correspondant à l’Académie des beaux-arts, section Peinture.
Un grand merci à Maurice Garnier qui nous a ouvert les portes de sa galerie, et nous a réservé le plus chaleureux accueil.
En savoir plus sur:
- Bernard Buffet et la Galerie Maurice Garnier
- Bernard Buffet à l'Académie des beaux-arts
Texte de Jean Cocteau sur Bernard Buffet:
Médiéval. C'est le terme qui s'impose si je cherche à résumer d'un mot l'œuvre de Bernard Buffet.
Sa chance semble venir d'avoir touché la corde d'un des pendus de Villon.
L'allongement des formes prend chez lui une signification différente de celle (Modigliani en tête) qui nous arrive des figures du Greco.
Je ne songe pas aux foudres, aux mandragores, aux linges tortueux du Greco, mais aux giboulées à l'envers des lances d'Uccello (un drôle d'oiseau, entre nous, capable de fraterniser un jour, au Louvre, avec notre peintre, tellement dur et tendre qu'il combine en sa personne les longues dames des tapisseries à la Licorne et les Chevaliers considérables d'un tournoi).
Tel est le contraste en lui de ce cruel sentimentalisme, qu'on ne s'étonnerait pas de voir des couples enlacés, le jeune homme poussant une bicyclette de sa main libre, traverser les allées vides qu'il aime ou que fleurissent des églantines sur les ronces en fil de fer barbelé dont il protège sa haute et nonchalante solitude.
Ne vous y fiez pas. Une nature morte de Buffet n'est morte que d'un oeil et prête à mordre. Les ustensiles des Arts Ménagers deviennent, entre ses mains de mince bourreau pâle vêtu de rouge, des instruments de torture aptes à faire parler, coûte que coûte le silence, prendrait-il l'apparence d'une nappe, d'une chaise, d'un peigne, d'une raie ou d'une tête de veau.
A nul autre je ne saurais mieux appliquer cette devise : « Ne mélangez pas les torchons et les serviettes car je suis un torchon ».
Loin du bonnet d'âne en lingerie roide des tables élégantes, Buffet tortille adroitement un torchon jusqu'à en faire une mitre d'évêque espagnol à genoux devant le calvaire des poteaux télégraphiques de Tolède en mettant à l'index toute beauté suspecte de quelque charme.
Médiéval. Buffet laisse derrière son passage une piste funèbre dont les joutes ont crevé l'oeil d'un roi de France.
Mais là où je l'estime incomparable, c'est lorsqu'il porte ce vide à son compte, relègue son arsenal de piques dans les coulisses et règne, comme Louis II de Bavière, dans la loge d'un théâtre vide avec pour tout décor soit une plage et sa mer plate, soit un chantier dont les grues au cou antédiluvien hurlent par l'organe des sirènes d'usine.