Christian Amatore, le chimiste anticonformiste
Christian Amatore aurait pu devenir cordonnier. Il est devenu chimiste dans une discipline dont il sera le premier à développer des recherches : les ultramicroélectrodes. Au cours de cette émission, notre invité nous livre des bribes de son enfance en Algérie pendant la guerre, le soutien silencieux de ses parents dans ses brillantes études, et ses travaux actuels révolutionnaires.
_ « Mon père m’a dit un jour, “si tu es intelligent mais que tu n’as pas d’instruction, tu restes muet” ». Enfant, Christian Amatore intègre rapidement ce conseil. Il enchaîne de brillantes études et devient directeur de recherche au CNRS à 32 ans seulement.
Aujourd’hui Directeur du département de chimie de l’École normale supérieure à Paris rue d’Ulm, il est également docteur honoris causa de plusieurs universités européennes et asiatiques, membre de l’Académie des sciences et depuis mars 2011, Délégué à l’Éducation et à la Formation de l’Académie des Sciences pour les questions relatives à l’enseignement des sciences en primaire, au collège et au lycée.
Une enfance en Algérie
Christian Amatore aime à souligner les origines de sa famille et le milieu modeste mais toujours digne dans lequel il a grandi. À la fois Suédois par sa mère et Sicilien par son père, le futur chimiste vécut une bonne partie de son enfance en Algérie. Il a 10 ans lorsque la guerre éclate. Le père légionnaire part régulièrement au combat, parfois pendant 15 jours. « Mes frères et moi ne savions pas que c’était la guerre, que mon père risquait sa vie. Ce qu’on savait en revanche, c’est que lorsque l’hélicoptère pointait son nez dans le ciel, cela signifiait que notre père allait revenir bientôt. Mais nous ne savions pas qu’il rapportait les corps des militaires et qu’il aurait pu transporter celui de mon père. Pour nous, la mort n’existait pas. S’il manquait des hommes, on nous expliquait que les militaires étaient rentrés en France… ».
À Sebdou, au bled, l'atmosphère est surréaliste. Ces mêmes hommes qui se font la guerre dans le maquis se retrouvent quelques jours plus tard à discuter calmement en ville. « Mon père par exemple parlait souvent avec l’homme qui tenait un bazar dans notre ville de garnison, tout en sachant qu’il était chef du FLN. À Sebdou au bled, la vie était très différente de la vie citadine. Dans les écoles, tous les enfants étaient traités pareil dans la classe quelle que soit leur nationalité. Je vous parle de mon ressenti bien sûr ». Le père dira un jour à son fils : « Je suis engagé dans la Légion étrangère. Mon métier est de lutter contre eux. Mais si j’étais à leur place, je ferais pareil ».
Changement de décors. Lorsque la famille arrive à Bel Abbès en 1962, tout est différent. « Les Français vivaient en centre-ville et les Algériens en périphérie. Au lycée, sur 30 enfants, seulement 5 ou 6 étaient musulmans. Les autres ciraient les chaussures à chaque coin de rue. C’est là que j’ai ressenti le racisme ».
Les études à Corte, Marseille et Paris
Après l’Algérie, la famille débarque en Corse pour une courte durée. Rapidement en effet, le proviseur du lycée de Corte suggère aux parents de s’installer à Marseille pour que l’adolescent poursuive sa scolarité au lycée Thiers. Les parents suivent les conseils des professeurs ; ils avaient vu juste. Christian Amatore obtient son baccalauréat à 16 ans, enchaîne deux classes préparatoires et entre à l’ENS à Paris à l’âge de 19 ans. Les débuts dans la capitale sont difficiles. « Je me sentais tellement différent des autres que j’ai voulu rentrer sur Marseille. Mais comme j’étais rémunéré par l’ENS et que je représentais un poids en moins pour mes parents, je suis resté et je me suis accroché ». Les diplômes s’enchaînent : licence, maîtrise, agrégation, thèse. Sur son chemin, il croise Marc Julia[Marc Julia (1922-2010) était membre de l'Académie des sciences]], éminent chimiste directeur de laboratoire à l’ENS, et Jean-Michel Savéant [[ [Jean-Michel Savéant, Membre de l'Académie des sciences comme directeur de thèse. Parti deux ans aux Etas-Unis, il fait la rencontre de Robert Wightman avec qui il met sur pieds les ultramicroélectrodes.
Les ultramicroélectrodes : définition par le concepteur
Christian Amatore est devenu électro-chimiste. Cette nouvelle discipline aborde des problématiques importantes de la chimie organique, inorganique et organométallique, et plus récemment de la biologie. Elle étudie les réactions qui permettent la création de liaisons carbone-carbone, permet de travailler sur le rôle du palladium comme catalyseur ou encore permet de se pencher sur l’élaboration de nouveaux réactifs.
Mais l'aspect le plus innovant reste les ultramicroélectrodes dont Christian Amatore a été un des premiers à développer les recherches. Il s’agit de toutes petites électrodes qui permettent de faire de l'électrochimie dans un milieu peu conducteur. Elles servent notamment à étudier le mécanisme par lequel la cellule libère de larges biomolécules à travers sa membrane. « On peut ainsi reconstituer le principe des synapses. En plaçant une électrode en regard de la membrane cellulaire, on crée une synapse artificielle. L’électrode convertit chaque molécule en un courant électrochimique qui est donc mesurable ; de véritables synapses artificielles » précise-t-il.
Transmettre le goût de la science et le sens de l’analyse
Membre de l’Académie des sciences depuis 2002, Christian Amatore est depuis début 2011 Délégué à l’Éducation et à la Formation de l’Académie des Sciences dans les collèges et les lycées. Avec ces nouvelles fonctions, Christian Amatore souhaite faire passer l’idée que la science est une activité créatrice comme les autres. « Actuellement, la phase d’observation semble remplacer la démarche scientifique. C’est un tort. Il faut se méfier de nos perceptions. Je suis pour respecter la loi et faire bouger les codes ».
En savoir plus :
- Christian Amatore, membre de l'Académie des sciences
- Christian Amatore sur Canal Académie