Claude Lévi-Strauss par Jean d’Ormesson
A l’occasion du centenaire de Lévi-Strauss, Jean d’Ormesson, qui fut son parrain à l’Académie française, évoque le grand ethnologue. Il nous raconte des anecdotes, nous parle du livre qu’il a préféré, de la querelle de l’anthropologue avec Roger Caillois, et nous glisse au passage d’autres petites confidences.
Jean d'Ormesson a été le parrain de Claude Lévi-Strauss à son entrée à l'Académie française, le 24 mai 1973, élection qui précède de quelques mois seulement la sienne puisqu'il fut élu, lui, le 18 octobre 1973. De l'élection à la réception en passant par les années phare, notre invité se plaît à remonter le temps. Il nous conte bien entendu Claude Lévi-Strauss «le savant français qui a la plus grande stature en Amérique», mais aussi Roger Caillois : «un parcours très étrange... un homme qui n'a pas d'étiquette», l'Unesco ou le terrain de querelle des deux intellectuels, enfin l'Académie française. Retrouvez ci-dessous quelques propos de Jean d'Ormesson parmi tous ceux que vous pouvez écouter dans cette émission.
Sur Lévi-Strauss et son apport anthropologique
- «Il a fait entrer l'autre dans notre vision.» «Elle était anthropomorphique, chauviniste, axée sur nous-mêmes.»
- «Il est l'un des premiers à avoir cru dans ce phénomène de mondialisation.»
Sur Lévi-Strauss et Tristes tropiques
A la question du livre qu'il préfère, Jean d'Ormesson répond sans hésiter : Tristes tropiques !
- «Le plus littéraire de tous les livres de Lévi-Strauss.»
- «Le début du livre : «Je hais les voyages et les explorateurs» est une référence.» «Il est unique et fort comme le début de quelques autres livres comme Du côté de chez Swann de Proust ou La chartreuse de Parme de Stendhal.»
- «Quand l'ouverture se présente avec cette force, c'est que c'est un ouvrage considérable !»
Sur Lévi-Strauss et Caillois, deux hommes que tout devait rapprocher
- «les deux hommes ne sont pas comparables. Lévi-strauss a une réputation internationale. Il est le savant français qui a la plus grande stature en Amérique, c'est un monument de l'ethnologie française.»
- «Caillois n'a pas d'étiquette, cela lui a beaucoup nui !» «Il était certes un esprit brillant mais n'était pas philosophe, à peine sociologue, il était romancier, savant, minéralogiste et en même temps rien de tout cela.» Ceci explique peut-être cela. Lévi-Strauss a marqué un domaine, Caillois en a marqué plusieurs. Ironie du sort : l'un reste, l'autre est trop oublié.
Pourtant, ils étaient assez proches car «ils s'intéressaient tous les deux à la diversité des regards et à l'échange des regards entre les civilisations.»
Sur la querelle à la «Montesquieu-Rousseau» des deux hommes
Jean d'Ormesson nous raconte comment les deux intellectuels se sont querellés au sujet d'un petit texte «Race et histoire» que Lévi-Strauss avait écrit pour l'Unesco. Lévi-Strauss était très influencé par Rousseau et Caillois, par Montesquieu.
- «Cette querelle Lévi-Strauss-Caillois, c'est la querelle Montesquieu-Rousseau !»
- «Caillois l'avait assez sévèrement critiqué car il était persuadé qu'il fallait l'échange entre les différentes cultures.» «Il avait attaqué assez vivement ce qui pouvait lui apparaître comme l'idéologie du relativisme chez Lévi-Strauss.» Lévi-Strauss avait répondu à cette attaque par un article virulent : «Diogène couché», «une bataille à couteaux tirés entre les deux !».
Qu'il tourne son regard vers Roger Caillois ou qu'il le porte sur Claude Lévi-Strauss, Jean d'Ormesson considère ces deux grands esprits comme aussi lumineux l'un que l'autre !
Sur Lévi-Strauss à l'Académie française
Jean d'Ormesson nous livre une confidence : «il y avait eu deux morts à l'Académie française en 1972 : Henry de Montherlant et Jules Romains. Voilà que 20 ans plus tard Lévi-Strauss et moi nous présentons en même temps à l'Académie française ! J'avais pensé me présenter au fauteuil de Montherlant mais Lévi-Strauss s'y était présenté avant moi donc je me suis présenté au fauteuil de Jules Romains.»
- «A ma stupeur j'apprends que Lévi-Strauss a demandé à Caillois de le recevoir à l'Académie !» «C'est une élégance qui ne surprend pas de la part de Lévi-Strauss, c'était la réconciliation académique après la querelle !»
- Caillois avait écrit un discours de réception un peu dur : «il ne cachait pas un certain nombre de réserves à l'égard de Lévi-Strauss. Au fond, ce qu'il lui reprochait c'était d'avoir créé un certain nombre de systèmes et Caillois n 'était pas un homme de systèmes».
Sur Roger Caillois, de l'Académie française
Jean d'Ormesson a très bien connu Roger Caillois. Avant même que les deux hommes se retrouvent à l'Académie française, ils collaborent pendant 30 ans à la revue Diogène fondée par Caillois, une revue du Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines, ONG au sein de l'Unesco.
- «Il avait eu l'idée de lancer une revue littéraire fondée sur l'idée que la science moderne refusait la synthèse et allait de plus en plus loin dans l'analyse». «En somme, il voulait qu'un biologiste parle de la psychanalyse, qu'un historien parle d'économie, qu'un poète traite des mathématiques...»
- «Caillois était un réaliste qui perçait derrière le surréaliste...».
En savoir plus :
Retrouvez des témoignages et des propos de Jean d'Ormesson dans le livre Lévi-Strauss, l'homme derrière l'oeuvre paru aux éditions Lattès (2008).
Vous pouvez y lire l'intégralité des discours prononcés par Caillois et par Lévi-Strauss lors de la réception de celui-ci à l'Académie française.
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- [Retrouvez la chronique de Damien Le Guay : Lévi-Strauss. L'homme derrière l'oeuvre.->http://www.canalacademie.com/Levi-Strauss-L-homme-derriere-l.html]
- [Ecoutez notre émission : Roger Caillois, le disciple d'Orphée->http://www.canalacademie.com/Roger-Caillois-le-disciple-d.html]
- [La revue Diogène : une revue internationale des sciences humaines
publiée par le Conseil International de la philosophie et des Sciences Humaines avec l'aide de l'Unesco->http://www.unesco.org/cipsh/fre/diogene.htm]
- Le discours de Claude Lévi-Strauss lors de sa réception à l'Académie française
- Réponse de Roger Caillois au discours de Claude Lévi-Strauss