Darwin, c’est tout bête
Le naturaliste anglais Charles Darwin (1809-1882) révolutionna la pensée de l’homme jusqu’alors « anthropocentrée », démontrant que l’humain appartenait au règne animal et que Dieu et sciences devaient être distinguées. L’accueil de L’origine des espèces en 1859 fut contrasté même s’il remporta un succès immense. Aujourd’hui, la « théorie de l’évolution » est admise de tous, ou presque. Retour sur la pensée de Darwin, un personnage qui, entre scarabées péteurs et vers de terre mélomanes, était beaucoup moins austère qu’il n’y paraît !
Écoutez Marc Giraud, journaliste spécialisé en zoologie, naturaliste de terrain. Il a publié Darwin, c'est tout bête en abordant avec humour et intelligence la théorie de l'évolution de Darwin, à l'occasion du bicentenaire de la naissance du scientifique en 2009.
Au début de sa carrière, Charles Darwin commence par des études de médecine, puis selon les vœux de son père, se tourne vers le pastorat. Mais cette destinée ne l'enchante guère. Il décide de devenir le compagnon de voyage de l'austère capitaine Fitzroy en 1831 à l’âge de 22 ans. Et c'est ce long voyage qui fera basculer sa destinée.
À bord du Beagle, il passe pour « un drôle de zig » pour citer Marc Giraud.
L’équipage le nomme « l’attrape-mouche » en raison de tout ce qu’il attrape pour pouvoir l’observer. Il note par exemple au cours d’une escale : « Nous sommes environnés de mouches lumineuses et de moustiques ; ces derniers sont fort désagréables. J’expose ma main à l’air pendant 5 minutes, elle est bientôt entièrement recouverte par ces insectes ; il y en avait au moins 50 suçant tous à la fois ».
Cette originalité se retrouve jusque dans les derniers moments de sa vie. En effet son dernier livre, rédigé à l’âge de 72 ans, porte sur « La formation de la terre végétale par l’action des vers, avec des observations sur leurs habitudes ». C’est à cette occasion qu’en leur hurlant dessus et en leur jouant du piano, il se rend compte que les lombrics… sont sourds !
Mais revenons aux suites du voyage à bord du Beagle.
Après plusieurs années de voyage, Charles Darwin a beaucoup changé. Jusqu’alors pétri des conceptions religieuses sur la création en vigueur à l’époque, il revient l’esprit plein de questions.
Le premier moment clé date de 1837. Dans le zoo de Londres, il note sur son carnet en observant un orang-outang : « Homme issu de singes ? ».
C’est cette même année que Darwin commence un premier carnet consacré à la transmutation des espèces.
Attention ! Darwin n’a pas été le premier à penser que l’évolution transforme les êtres vivants, (l’idée d’évolution des espèces a quasiment toujours existé). Anaximandre et Héraclite évoquaient déjà la non fixité des espèces. Plutarque affirmait « que les poissons sont les pères et les mères de l’espèce humaine ».
Mais d’autres comme Voltaire répondait «qu’il ne parvenait pas à croire qu’il descendait d’une morue » !
Buffon déjà situait l’homme dans le règne animal et la naissance de la terre vers 70 000 ans avant J.-C. Mais sous la pression des théologiens, le naturaliste a revu sa copie.
Mais Charles Darwin est celui qui a apporte l’explication la plus poussée et la plus étayée d’exemples.
La sortie de L'origine des espèces
C'est ainsi qu'en 1859 sort L’origine des espèces.
La publication est épuisée en une seule journée, mais l’accueil est contrasté : les attaques viennent du clergé mais pas tous, tel le chapelain de la reine Victoria, Charles Kingsley, qui lui témoigne publiquement son admiration.
D’autres scientifiques et amis comme Charles Lyell et le capitaine Fitzroy sont également critiques. Ce dernier dira d’ailleurs qu’il ne voit « rien de très noble à l’idée de descendre même du plus ancien des singes ».
La phrase choc fera date : le lendemain, Darwin est caricaturé en singe dans les journaux.
Pourtant Darwin fait très attention dans son ouvrage à ne pas faire le lien entre l’homme et son cousin éloigné. Mais le raccourci est fait dans les esprits.
Par ailleurs, ce n’est que dans le sixième réédition de son livre que Darwin parle d’évolution des espèces. Dans les cinq premières éditions, il prend soin de parler de « transmutations des espèces » ; une transmutation qui se fonde sur trois notions complémentaires :
- 1. les organismes vivants présentent des variations, dont une partie se transmet à leurs descendants
- 2. les êtres vivants produisent plus de descendants qu’il ne peut en survivre
- 3. les caractères favorables se rependent au fur et à mesure des générations.
Sa théorie globale est révolutionnaire car elle exclut Dieu de la science, et choque parce qu’elle détrône l’homme de la place privilégiée qu’il s’est attribuée dans l’univers, au mépris de l’animal.
Dans l’Introduction à la psychanalyse, Freud écrit que l’homme est blessé dans son orgueil anthropocentrique :
- la première blessure vint de Copernic qui affirma que la Terre n’était pas le centre du monde.
- la seconde fut celle de Darwin qui démontra que nous appartenons au règne animal.
Darwin mal compris
A côté de ses détracteurs, il y a ceux qui détournent sa théorie à des fins peu glorieuses comme son cousin Francis Galton qui transposa radicalement « l’élimination des faibles » aux sociétés humaines, inventant l’eugénisme.
Enfin, certains ne saisissent pas le sens du mot « adaptation ».
Lamarck par exemple, qui était un transformiste, expliquait par exemple la déformation du cou de la girafe à force de tirer sur son cou pour atteindre les feuilles des arbres. Pour Lamarck, la fonction va créer l’organe.
Aujourd’hui encore, la confusion subsiste pour certains. Or, ce sont les contraintes du milieu qui ont sélectionnés les animaux capables de survivre, tout comme les éleveurs ont sélectionné les chevaux performants pour arriver au pur-sang.
Les erreurs de Darwin
Charles Darwin a tellement écrit pour démontrer sa théorie qu’il a fini par se contredire et parfois même commettre quelques erreurs. Il affirmait par exemple que l’évolution ne faisait pas de bonds ; il croyait en l’hérédité des caractères acquis ; enfin, il affirmait clairement son anthropomorphisme parlant de l’affection des araignées, et du sentiment de la beauté chez les oiseaux.
Un nouveau classement : la cladistique
Si Charles Darwin n'est plus là pour bousculer notre image anthropocentrique du monde, un nouveau classement est venu bouleverser notre mode de pensée depuis les années 1950 : la cladistique, énoncé par l'entomologiste allemand Willi Hennig.
Il s’agit d’un classement par homologies secondaires, où le brochet est plus proche du cheval que du requin, la vache est plus proche du dauphin que du cheval et le chimpanzé plus proche de l’homme que de l’orang-outang.
en savoir plus :
- Site de Marc Giraud
- Charles Darwin, correspondant de l'Académie des sciences en 1878, section de botanique
Marc Giraud, Darwin, c'est tout bête, éditions Robert Laffont, 2009