Hugues de Thé : guérir une forme rare de leucémie par l’arsenic
Hugues de Thé consacre sa carrière à la recherche de traitements pour les formes rares de leucémies. Depuis une vingtaine d’années, il exerce à l’hôpital Saint-Louis à Paris et dirige une vingtaine de personnes au sein de son laboratoire. En collaboration avec des équipes chinoises, il a mis au point un traitement exceptionnel à base d’arsenic... ! Il évoque ses travaux au cours de cette émission.
C’est de manière involontaire que Hugues de Thé à marché sur les traces de son père, Guy Blaudin de Thé (pionnier dans la découverte de virus jouant un rôle dans certains cancers, correspondant de l’Académie des sciences). Car si le fils se destinait à des études scientifiques, il ne pensait pas au départ travailler sur les leucémies et les mécanismes de leurs traitements.
« Après les mathématiques et la physique chimie, je me suis rendu compte que je m’intéressais surtout aux systèmes biologiques et la médecine m’apparaissait comme être la voie la plus opportune. J’ai donc mené des études médicales en parallèle de mes études scientifiques, d’abord à la faculté Alexis Carrel à Lyon puis à l’école de médecine Necker à Paris. C’est là que j’ai développé le goût pour la recherche ».
Ce qui passionne surtout Hugues de Thé et il en fera sa carrière, c’est la compréhension des mécanismes des maladies pour déterminer de nouvelles stratégies de traitements.
Parmi les noms qui marquent sa formation de notre médecin chercheur, on retrouve celui de Jean-Pierre Grünfeld, néphrologue (correspondant à l'Académie des sciences) « qui nous apprenait à réfléchir face à un patient en terme de mécanisme de pathologie et d’approche thérapeutique rationnelle ».
Egalement la rencontre avec Claude Griscelli, médecin immunologiste pédiatre de Necker oriente la trajectoire d’Hugues de Thé. « Il m’a conforté dans l’idée que l’on pouvait aborder de manière scientifique ces mécanismes très compliqués que sont les maladies humaines ».
Notre invité poursuit donc une formation de chimie, biochimie et physiologie pour comprendre les mécanismes complexes que sont le traitement des maladies. Il débute à Necker dans le laboratoire de Philippe Meyer où dit-il « il m’était venu l’idée simple d’utiliser la pharmacopée pour sonder les mécanismes des maladies ». En d’autres termes, utiliser des médicaments existants, des extraits de plantes ou même des poisons pour pénétrer dans les systèmes biologiques des maladies.
Puis il poursuit ses recherches pendant 7 années à l’Institut Pasteur, avant d’arriver a l’hôpital Saint-Louis à Paris. C’est là qu’il rencontre Laurent Degos et Anne Dejean-Assemat avec qui il travaille sur une forme rare de leucémie qui touche une centaine de personnes par an en France : la leucémie promyélocytaire.
L’aventure commence ! Elle débute par la découverte en Chine par Wang Zhen-Yi, (membre associé étranger à l’académie des sciences), que l’acide rétinoïque (hormone bien connue, dérivé actif de la vitamine A) était capable d’induire in vivo la mort de la cellule leucémique. Les résultats sont confirmés par Laurent Degos, qui avait parallèlement travaillé sur ce concept, mais pas sur ce modèle précis.
Mais le traitement par acide réinoïque seul ne suffit pas. Dès l’arrêt du traitement, la maladie reprend. Laurent Degos propose alors une association acide rétinoïque - chimiothérapie. « Cela a permis de passer à un taux de 25 à 70% de guérison » précise Hugues de Thé. Les chercheurs devinent que la sensibilité à l’acide rétinoïque doit les mener à un gène dans le déterminisme de cette maladie. C’est le travail de deux femmes qui entrent en jeu cette fois-ci : celui de Christine Chaumiel à Saint-Louis et de Anne Dejean-Assémat à Pasteur. Elles mettent en évidence dans le cas de la leucémie promyélocytaire d’un gène de fusion appelé PML/RAR, fusion entre le gène PML et le gène RAR.
« Ce gène de fusion PML/RAR est vraiment le chef d’orchestre de cette maladie. C’est lui qui va transformer une cellule normale en une cellule leucémique ».
Parallèlement, en 1995, les équipes chinoises de Chen Zhu(membre associé étranger à l’Académie des sciences) démontre l’efficacité de l’arsenic qui semble cibler le gène PML/RAR. Incroyable, le poison, utilisé en faible quantité cible uniquement PML/RAR et le détruit. Les cellules saines ne sont pas touchées.
Les deux équipes françaises et chinoises démontrent ensemble que l’association de l’acide rétinoïque et de l’arsenic permet cette fois-ci de neutraliser totalement le gène PML/RAR à l’origine de la maladie, l’acide rétinoïque dégradant RAR et l’arsenic dégradant la partie PML.
Après des essais précliniques effectués sur les souris, puis des tests cliniques effectués sur l’homme et menés en Chine, le verdict semble sans appel : le traitement guérit les patients dans la quasi totalité des cas, avec un traitement ponctuel et sans chimiothérapie.
Le premier article démontrant de manière indiscutable la synergie de ces deux agents paraît en 1999. Cinq ans plus tard Chen Zhu publiait les résultats de ses premiers essais cliniques. « Mais il aura fallu encore attendre 5 ans pour que la communauté médicale accepte cette idée qui n'était pas dans les modèles physiopathologiques » précise Hugues de Thé.
Si le traitement est aujourd’hui mis sur le marché en Chine et aux Etats-Unis, en Europe, des essais sont encore en cours.
Cette incroyable découverte pourrait-elle s’appliquer à d’autres maladies actuellement difficiles à traiter ? « C’est une des hypothèses qui nous occupe en ce moment. Nous avons quelques pistes, mais cela restera des cancers rares ».
En attendant, Hugues de Thé et son équipe d’une vingtaine de chercheurs continuent à décortiquer le mécanisme moléculaire intime de cette maladie et cherchent à comprendre ce que devient le gène PML/RAR une fois dégradé, ce qui augure encore de nombreuses années de recherches !
Ecoutez les explications détaillées d'Hugues de Thé au cours de cette émission.
Hugues de Thé est médecin chercheur, directeur du laboratoire Pathologie et virologie moléculaire (Université Paris Diderot / CNRS / Inserm), professeur de biologie moléculaire à à l'Université Paris VII, Diderot membre de l’académie des sciences depuis 2011.
Hugues de Thé a reçu de nombreux prix pour ses recherches, notamment le prix de la coopération internationale scientifique et technologique avec la Chine, pour ses travaux sur l'arsenic.
En savoir plus :
- Hugues de Thé, membre de l'Académie des sciences
- Hugues de Thé, page personnelle