Jean d’Ormesson, un moment essentiel de ma vie
Dans la version intégrale de l’émission "L’essentiel avec...", Jean d’Ormesson, de l’Académie française depuis 1973, a été invité par Jacques Paugam à répondre à sept questions. Ici, nous avons choisi de vous faire lire et écouter la toute première question -quel est à vos yeux le moment essentiel de votre carrière ? - et la toute première réponse de l’académicien. Maître dans l’art de la conversation, le doyen d’élection de l’Académie française évoque pour nous, avec amusement et bienveillance, son parcours personnel et ses nombreux souvenirs.
1- Dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été le moment essentiel ?
Jean d’Ormesson : Je ne dirais pas qu’il y a eu un moment essentiel mais trois ou quatre : mon entrée sous la coupole, en 1973, est tout de même un évènement majeur, l’entrée au comité de lecture de Gallimard a été important pour moi car c’était une sorte de reconnaissance du milieu littéraire et la réception de Marguerite Yourcenar à l’Académie. Il s’agissait d’un pas décisif de l’entrée des femmes dans le monde moderne.
Jacques Paugam : Et la fin d’un long combat que vous aviez mené…
J.d’O. : Oui ça a été un combat et je l’ai remporté, j’en ai perdu d’autres. Je voulais faire rentrer Raymond Aron et Aragon. Je peux raconter brièvement ce qui s’était passé avec Raymond Aron. Il n’était pas très chaud pour rentrer à l’Académie. C’était un homme merveilleux, je l’admirais énormément, mais il avait un caractère difficile. Il était très orgueilleux et l’idée d’un échec lui semblait insupportable. Un beau jour, il avait un peu vieilli comme tout le monde, et il m’a dit : « écoutez, explorez cela, peut-être que je viendrais mais je voudrais que vous me fassiez un rapport sur l’état des lieux et les chances que j’ai. » Je suis revenu le voir en lui disant : « il ne faut pas vous présenter pour cinq raisons. »
Il y avait encore à cette époque là, quelques antisémites à l’Académie. Ils étaient plutôt hostiles à son entrée. Et quelques confrères juifs trouvaient que c’était suffisant, qu’il n’en fallait pas trop. Il avait contre lui les antisémites et les juifs de l’académie. Il avait contre lui les antigaullistes. Il restait, parmi nous, encore des confrères marqués par l’Action française, la droite traditionnelle. Il avait aussi contre lui les gaullistes.
Il y avait une histoire célèbre racontée par Maurice Schumann alors ministre du général de Gaulle. Il lui fait signer un document et pour engager la conversation, il lui dit : « Mon général avez-vous vu ce matin dans Le Figaro l’article de Raymond Aron ? il ne vous est pas très favorable. » De Gaulle ne répond pas. Schumann prend son dossier sort, et en sortant, il entend le général soliloquer et dire : « Aron, Aron, est-ce personnage qui est journaliste au Collège de France et professeur au Figaro ? »Donc les rapports étaient un peu difficiles. Et je croyais savoir que Maurice Schumann, que Peyrefitte, peut être même Maurice Druon, n’étaient pas très chauds pour l’accueillir. J’ai dit à Aron : « ces quatre catégories, tout cela peut être surmonté mais il y a une catégorie qui est insurmontable, c’est ceux à qui vous avez fait comprendre un jour où l’autre que vous étiez plus intelligent qu’eux ! » Il ne s’est pas présenté et je pense qu’il aurait été battu.
L’autre histoire maintenant. Un jour j’avais diné avec Aragon, il m’avait dit : « tu sais, je suis snob. » Moi je le vouvoyais tandis qu’il me tutoyait. Et donc je lui ai répondu : « Vous êtes snob, venez à l’Académie ! ». Il ne m’a pas dit non. Je suis allé vers mes confrères et leur ai dit : « nous pouvons avoir Aragon. » Et ils m’ont répondu : « qu’il fasse ses visites et qu’il envoie sa lettre de candidature. ».Évidemment pour Aragon, il fallait déployer le tapis rouge, se jeter à ses genoux et le supplier de venir. L’image de l’Académie en aurait été modifiée.
Oui ces déceptions sont mes véritables échecs, -je parle trop vite de mes échecs ! Un moment important pour moi ça a été mon premier livre publié : le bonheur !
Dans l’intégrale de l’émission notre invité répond aux 6 autres questions de Jacques Paugam :
o Qu’est-ce qui est essentiel dans votre domaine d’activité ?
o Qu’est-ce qui est essentiel à dire aujourd’hui sur l’état de la société ?
o Quelle est selon vous la plus grande hypocrisie de notre temps ?
o Quel est l’événement de ces dernières années ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?
o Quel a été le plus grand échec de votre vie ?
o Aujourd’hui quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?
En savoir plus :
- Pour découvrir les réponses aux 6 autres questions essentielles, lisez l’intégralité du texte et écoutez en entier l’émission "L’essentiel avec...Jean d’Ormesson, de l’Académie française."
- La fiche de Jean d'Ormesson sur le site de l'Académie française
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