L’essentiel avec... Jean-Jacques Annaud, de l’Académie des beaux-arts
Jean-Jacques Annaud, membre de l’Académie des beaux-arts depuis 2007, détenteur d’un oscar et de quatre césars, est le cinéaste français le plus regardé au monde. C’est un regard touchant et personnel sur sa jeunesse, ses coups de foudre et ses échecs que le réalisateur du Nom de la Rose offre ici.
1 - Dans votre itinéraire, votre carrière, quel a été à vos yeux le moment essentiel ?
« Le jour où j’ai été reçu à l’école de cinéma ; je viens de la banlieue, d’un milieu de Français tout à fait moyens et lorsque j’ai eu, vers l’âge de sept ans, l’envie de faire du cinéma, mes parents sont un peu tombés des nues… »
L’argent manque à la maison. Le père est malade. Jean-Jacques Annaud joue alors à quitte ou double : ou il réussit son concours, ou il rentre dans la vie professionnelle ; il est major de promotion. C’est grâce à la filière classique de l’École technique de photo et cinéma qu’il pénètre dans le monde fermé du cinéma et qu’il dirige son premier film, à dix-neuf ans et demi.
« Ma seule espérance était d’être bon élève, car je n’avais pas de relations. J’en garde, au plan moral, une sorte de gratitude envers l’État français. »
Jean-Jacques Annaud se fait une réputation d’estime dans le monde de la publicité ; il tourne à l’époque plus de cinq cents spots. « La pub m’a appris une chose fondamentale : qu’on peut être soi-même, même dans la contrainte. J’ai appris, dans ce monde très convenu, à être singulier et à me battre pour mes idées. »
L’Afrique : « un coup de foudre faramineux ».
« Le service militaire a été un choc incroyablement bénéfique. J’y suis allé avec la conviction que j’allais détester ça, que j’allais être très désagréable et qu’on allait me renvoyer en France. Évidemment, les choses se sont passées de façon diamétralement opposée. À la seconde même où la porte de l’avion s’est ouverte, je suis tombé en amour avec l’Afrique. J’ai adoré ce bouleversement, cet ébranlement, cette découverte de moi que la civilisation africaine a générés. »
Jean-Jacques Annaud décide alors que son premier long-métrage se passera en Afrique. Alors que La Victoire en chantant fait un four en métropole, il remporte contre toute attente la récompense suprême aux États-Unis : premier film, premier oscar pour un Annaud qui n’est pas le moins surpris de tous.
2 - Dans le domaine d’activité qui est le vôtre, qu’est-ce qui vous paraît essentiel à dire ?
Jean-Jacques Annaud prépare actuellement deux films. Le premier, La Soif Noire, se déroulera dans les années 1930 et se penchera sur la malédiction constituée par la découverte du pétrole au Moyen-Orient.
« Là où on a découvert du pétrole », remarque Annaud, « la société est devenue complètement dysfonctionnelle. Et là où l’on trouve une stabilité politique et même un plaisir de vie, c’est dans les États où il y a peu ou pas de pétrole. Le pétrole a créé un désastre, de même que les richesses mal gagnées provoquent des drames. Dans la plupart des pays pétroliers, on se bat pour essayer de retrouver une culture qui a été oubliée. »
Son second film se déroulera en Mongolie, l’Asie étant l’autre continent de prédilection de Jean-Jacques Annaud (L’Amant, Sept Ans au Tibet, Deux Frères).
4 - La plus grande hypocrisie de notre temps ?
« L’hypocrisie de la démocratie. On l’agite pour garder le monde en paix ; mais c’est un monde du mensonge où les riches profitent des moyens de la démocratie pour asseoir leur position, le tout avec une morgue absolument terrifiante. »
« Ce qui s’est globalisé de façon troublante, c’est l’appât du gain. Cette rapacité de l’amoncellement des richesses matérielles, aux dépends des autres, sans aucun respect de l’autre, sans aucun sens de la société. »
6 - Quel a été le plus grand échec de votre vie et comment avez-vous tenté de le surmonter ?
Jean-Jacques Annaud n’évite pas la question et y répond avec pudeur et sensibilité : « L’implosion de mon premier mariage. J’étais fait pour être marié pour l’éternité. J’ai un peu rechigné pour aller à la mairie, mais une fois que c’était fait, je ne pouvais pas imaginer que ça puisse s’arrêter. […] »
7 - Aujourd’hui, quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?
« Les films sur lesquels je travaille me donnent un infini plaisir, celui de la découverte, celui du partage, celui de la transmission. »
Au final, c’est l’autoportrait d’un homme heureux qui se dégage. Celui d’un homme qui est allé au-delà de ses rêves à la force de la volonté.
« La recette, c’est d’être fidèle à ce qu’on croit », préconise-t-il. « Je me suis aperçu d’une chose : quand on dit ce qu’on pense, et quand on fait ce qu’on dit, même si vous faites quelque chose que les autres n’aiment pas, au moins vous êtes dans vos bottes. Vous ne vous êtes pas trahi vous-même. Je crois que les grands déséquilibres proviennent de ce que vous essayez de vous convaincre que vous faites quelque chose de bien alors qu’au fond vous faites quelque chose de mal ; je connais des producteurs de cinéma qui font des films ultraviolents et qui donnent de leur argent à des ONG bouddhistes. »
Un entretien personnel et rare en compagnie d’un des visionnaires du septième art français.
En savoir plus :
Liste des films réalisés par Jean-Jacques Annaud :
1976 : La victoire en chantant
1979 : Coup de tête
1981 : La Guerre du feu
1986 : Le Nom de la rose
1988 : L'Ours
1992 : L'Amant
1995 : Guillaumet, les ailes du courage (Wings of courage)
1997 : Sept ans au Tibet (Seven years in Tibet)
2001 : Stalingrad (Enemy at the gates)
2004 : Deux Frères (Two Brothers)
2007 : Sa Majesté Minor
Fiche de Jean-Jacques Annaud sur le site de l'Académie des beaux-arts