L’essentiel avec... Xavier Darcos, de l’Académie des sciences morales et politiques

Le Secrétaire perpétuel répond aux sept questions essentielles de Jacques Paugam
Avec Jacques Paugam
journaliste

Xavier Darcos évoque ce qui lui paraît essentiel dans sa trajectoire personnelle, ses échecs ou ses réussites, les livres qu’il a rédigés, ses réflexions sur la société, sur l’avenir de la France, en relation avec ses nouvelles missions au sein de l’État et au sein de l’Académie des sciences morales et politiques dont il est le secrétaire perpétuel.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab609
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L’invité de notre série « L’essentiel » est aujourd’hui Xavier Darcos - grande figure du monde de l’enseignement dans cet esprit qui fit la grandeur de l’Éducation nationale sous la IIIe République. Ancien ministre de l'Éducation nationale et du Travail sous la présidence de Nicolas Sarkosy, il est désormais ambassadeur pour la politique culturelle à l’extérieur de la France, président de l’Institut français ainsi que Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques depuis le 1er janvier 2011. Xavier Darcos a publié au début 2011, aux PUF une Anthologie historique de la poésie française au moment de cet enregistrement. Ce livre est aussi impressionnant par le regard créatif qui l’anime que par son érudition, double trait qui caractérise également le précédent ouvrage de l’auteur Ovide et la mort publié chez le même éditeur.

- Première question : dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été à vos yeux le moment essentiel ?

X.D : Sans aucun doute le moment où je me suis trouvé en face d’élèves, ma première classe. Notamment quand j’ai enseigné à Louis Le Grand, où des professeurs éminents, bien plus connus que moi, avaient enseigné depuis des décennies. J'avais l’impression d’être devant des jeunes gens très savants, très passionnés, qui demain seraient l’élite de la nation, de futurs normaliens. Une période qui me laissera des traces et qui a peut-être laissé plus de traces auprès de mes auditeurs que des évènements qui ont trait à ma carrière politique.

J.P : Vous dîtes souvent avec une profonde modestie que votre rôle d’enseignant est de transmettre ce que vous avez reçu.

Xavier Darcos
© Didier Plowy \/ Institut de France

X.D : Oui je suis très latin et crois beaucoup à la pietas. J’ai eu la chance d’avoir une éducation riche, d’être dans un milieu qui m’a beaucoup poussé à apprendre et à lire. J'ai rencontré des maîtres éminents, croisé de très beaux esprits et j'ai eu le temps d'écrire. Ce qui est important, c’est que tout ceci passe avec les autres et d’être un passeur.

J.P : Un passeur qui considère que le rôle de l’éducation est d’être une contre-culture ?

X.D : J’ai toujours considéré que l’éducation est l’art de résister à l’opinion du moment. De contrecarrer les lubies, les marottes, les préjugés. L’éducation est selon moi un moment de recul, de mise à distance de l’effervescence. C’est une fiction car dans le monde d’aujourd’hui, la communication a souvent remplacé la culture, ou du moins la transmission. C’est donc devenu une utopie. Mais les maîtres qui m’ont marqué et ceux qui continuent à marquer leurs élèves, sont des esprits qui se sont mis à distance de la frénésie, de l’instantané.

- Deuxième question : Qu'est-ce qui vous paraît essentiel à dire au regard de vos responsabilités aujourd'hui ?

X.D : Le rayonnement français à l'étranger ? On ne mesure pas à quel point l’enjeu est essentiel. D’une part parce que la mondialisation est une lutte de forces économiques avec des intérêts commerciaux. C’est pourquoi les enjeux de culture et de savoir sont emportés comme des fétus de paille. Voilà pourquoi tous les "tuyaux" permettant d’accéder à la culture sont américains : yahoo, google, facebook. La culture est donc une résistance. Ce qui est essentiel dans ma mission est de résister à l’uniformisation. L’Institut français que j’ai l’honneur de présider est une agence au service du ministère des Affaires étrangères pour faire en sorte que l’influence française passe aussi par la culture, par nos artistes, par nos idées, par nos valeurs, par nos écrivains.

J.P : Quelles initiatives prévoyez-vous ?

X.D : Je prends les choses en cours. Dans les projets qui étaient inscrits pour 2011 un certain nombre vont continuer : la biennale de Venise, le festival de photo de Bamako, le pavillon des films du sud à Cannes. Et aussi défendre la langue française, le cinéma patrimonial et les débats d’idées. Nous préparons également les années et les saisons, comme l’année du Mexique. L’année 2011 va être extrêmement chargée. Et je vais me rendre dans les grands instituts français que nous espérons transformer en succursales de l’Institut français dans 13 pays.

J.P : Deuxième volet de vos responsabilités actuelles : vous avez été élu en octobre 2010 Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, vous succédez à Michel Albert, ancien commissaire général au plan. Comment appréhendez-vous vos fonctions ?

X.D : J’ai été très honoré que mes confrères souhaitent que je sois Secrétaire perpétuel. L’Académie des sciences morales et politiques compte 50 personnalités (enfin 49, je me retire du lot !) hors du commun. Des gens qui ont de très belles carrières, d’immenses savants, des universitaires, des sociologues, des penseurs de premier plan, des philosophes, des professeurs de droit, des historiens. C’est une Académie dans laquelle on se sent humble d’être au milieu de telles qualités. C’est pour moi une charge très honorable que je voudrais mener à bien. On sait quelles sont les tâches d’un Secrétaire perpétuel. Mes prédécesseurs Jean Cluzel et Michel Albert les ont déjà fort bien accomplies. Il y a d’une part la gestion quotidienne de cette Académie, c'est-à-dire tous les problèmes de convocations, d’organisation des travaux, de débats. Nous sommes là très aidés par le Président qui anime le contenu de l’année (Jean Baechler pour 2011). L’autre aspect est de faire en sorte que ce qui se dit là, ce qui se joue dans cette salle de travail où nous sommes assemblés, puisse bénéficier au plus grand nombre. Donc sortir. Dieu merci il y a Canal Académie qui permet de faire connaître nos travaux ! Sans aucun doute il faut que nous publions plus, que nous réagissions plus aux faits d’actualité. Cette seconde partie de ma tâche : moderniser notre porte-voix sera sans aucun doute prioritaire dans ma mission.

J.P : Il y a aussi vos écrits. Vous venez de publier aux PUF une Anthologie historique de la poésie française. On pourrait réaliser trois heures d’émission ne serait-ce qu’en nous appuyant sur la préface de ce livre ! Mais ce n’est pas l’objet de cette émission. Je me contenterai donc d’en relever quelques extraits. Citation : « La poésie est mise en scène de soi, moins alchimie du verbe que sublimation du malheur d’être né ou de l’honneur de vivre ». Cela veut dire qu’avec la poésie, on touche à l’essentiel de la personne ?

X.D : Bien entendu, lorsque l'on pense à un poète, on pense à quelque chose qui lui tient à cœur : à la révolte de Rimbaud, au malaise œdipien de Baudelaire, à la corde qui menace Villon, à l’exil de Du Bellay, à la vieillesse de Ronsard. On pense toujours à une situation humaine forte.

- Troisième question : sur l’évolution du monde et de nos sociétés, qu’est ce qui vous paraît essentiel à dire ?

X.D : Ce que j’ai à dire, c’est qu’il ne faut rien perdre. Je suis très inquiet. Mais je ne voudrais pas que cette immense horizontalité de la transmission, ce désir d’ubiquité, nous fasse perdre la verticalité, nos sources, nos souvenirs, notre histoire, notre culture. Ce risque existe. Nous sommes plus, comme je le disais tout à l’heure, dans une société de la communication que de la transmission. Cette perte par rapport à l’héritage m’attriste.

J.P : A propos de verticalité, vous avez en 2006 publié chez Odile Jacob un ouvrage très remarqué : L’État et les Églises, les questions laïques. Sur ce plan de la laïcité aujourd’hui dans la société française, quel serait selon vous le point de repère essentiel à garder ?

X.D : Il y a deux points essentiels. Tout d’abord l’État est laïc et doit le rester. Il ne doit pas y avoir d’oppression des religions et des convictions sur la vie publique et la vie républicaine. Lorsque l’on voit l’espace public envahi, des contraintes faites aux uns et aux autres de ne pas obéir aux lois de la République au motif de convictions religieuses, cela est fâcheux. Nous devons être fermes sur cette séparation. En même temps la laïcité n’est pas du laïcisme. Cela m’afflige de voir à quel point nous perdons contact avec la culture chrétienne qui est la clef, l’humus de l’Europe depuis vingt siècles. Les jeunes et les moins jeunes perdent des repères élémentaires. Ce recul de la culture religieuse est pour moi tout à fait dommageable et une perte irréparable.

- Quatrième question : quelle est la plus grande hypocrisie de notre temps ?

X.D : Il y en a beaucoup ! Je trouve qu’il y a plus d’altruisme à distance qu’à proximité. Une sorte de grandiloquence pour les grandes causes qui concernent l’humain, le développement durable, les objectifs du millénaire pour le développement, la lutte contre toutes les formes de racisme. Ce sont des causes très justes mais qui sont prononcées avec la même emphase par des gens qui par ailleurs sont d’une très grande violence et intolérance au quotidien. Il faudrait commencer par respecter autrui dans l’immédiat avant de se prononcer sur des grands idéaux universels.

- Cinquième question : quel est l’évènement ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?

X.D : C’est le fait que nous soyons de plus en plus citoyens du monde. C’est la compensation de notre inquiétude sur l’universalisme de la mondialisation. Les jeunes gens que je rencontre ont conscience de l’interdépendance des êtres humains, se soucient de ne pas polluer, de consommer plus propre, d’avoir des comportements plus respectueux de ce qui les entoure. La conscience collective de la fragilité de la planète est un élément très positif.

- Sixième question : quel a été le plus grand échec de votre vie ?

X.D : J’ai eu des échecs privés, des malheurs privés, j’ai été veuf, cela a été douloureux. Mais l’échec au sens propre, dont ce qui m’a fait le plus de peine, a été le moment où j’ai quitté la mairie de Périgueux. Les circonstances nationales n’étaient pas très bonnes. J’étais très occupé. Les gens avaient le sentiment que j’étais trop absent. J’ai perdu à quelques dizaines de voix près, l’élection. Il y avait des personnes qui m’avaient fait confiance avec lesquelles j’avais conduit des projets, et je culpabilise de cet échec. J’ai entraîné avec moi dans l’échec des gens qui m’avaient fait confiance.

- Septième et dernière question : quelle est aujourd’hui votre motivation essentielle dans la vie ?

X.D : Toujours la même : découvrir, avancer, se rendre utile. Ne pas se trouver stérile, infécond. Je suis toujours heureux quand une nouvelle aventure s’ouvre. Ce que je fais actuellement au service du ministère des Affaires étrangères pour renforcer l’influence culturelle française me passionne totalement. Mais ce qui me motive aussi, c’est ma famille. J’ai la chance d’avoir un garçon qui a une dizaine d’années, Gabriel. Ce qui me motive est de ne pas le décevoir.

En savoir plus :

- Xavier Darcos sur le site de Canal Académie
- Xavier Darcos, membre de l'Académie des sciences morales et politiques

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