Pierre Delvolvé : enseigner le droit, un métier comme les autres ou un sacerdoce ?
Au fil des siècles, les penseurs ont transmis le savoir juridique. Cette transmission s'est instutionnalisée au sein des écoles notamment dans l'Empire romain, puis des universités, à Bologne et à Paris. Retour sur les fondamentaux du droit et plus spécifiquement sur la manière de l’enseigner : qu'est-ce que le droit ? Aujourd'hui, le droit a-t-il la même signification qu’il y a un siècle ? La « sacro sainte » distinction – summa divisio - entre droit public et droit privé a-t-elle encore sa raison d’être ? Nous accueillons Pierre Delvolvé, juriste et professeur d’université surnommé le « comédien du droit », membre de l'Académie des sciences morales et politiques, pour nous répondre.
Pierre Delvolvé, après une longue carrière de juriste et de professeur d’université, s’interroge ici sur le droit et plus spécifiquement sur la recherche et la manière de l’enseigner, en répondant aux questions de Marie-Béatrice Lahorgue. Elu à l’Académie des sciences morales et politiques le 14 décembre 2009 au fauteuil de Jean Foyer dont il rappelle le parcours.
Pierre Delvolvé commence cet entretien en évoquant la mémoire et la carrière de son prédécesseur, Jean Foyer (1921-2008) qui fut tout à la fois Garde des Sceaux sous la présidence du Général de Gaulle, et l’un des artisans de la Constitution française actuelle. Professeur à la faculté de droit de Paris II Panthéon-Assas et chargé de cours à la faculté de droit de Poitiers, il avait été reçu docteur honoris causa de l’université d’Oxford. Il avait aussi participé à la rédaction de plusieurs constitutions des pays d’Europe centrale et orientale après la chute du mur de Berlin.
Le parcours universitaire du professeur Delvolvé
La carrière universitaire du professeur Delvolvé s’est achevée par un dernier cours à l’Université Panthéon-Assas, le mercredi 12 mai 2010 (amphi 1) devant un millier de personnes. Sous la conduite du président Louis Vogel, revêtus de leur toge, ses collègues publicistes et privatistes ont assisté à son dernier cours sur « le régime de l’ouvrage public ». A cette occasion, il a reçu le Code d’or de l’Université. C’est sous les vivats du public et « une pluie de roses » qu’il a quitté sa « chaire-scène » pour reprendre le Petit juriste.
La Revue de droit administratif dans son numéro d’octobre 2010 lui rend hommage Petit un du Grand A : l’homme du droit et évoque « un héritage accepté » et « un héritage fructifié ». Pierre Delvolvé nous dit ici de qui il est l’héritier.
Aux sources du droit
Où est donc né le droit public ?
Au fil des siècles, les penseurs vont enseigner le savoir juridique. De l’enseignement du maître tel que Platon, ils vont peu à peu construire un enseignement plus « institutionnalisé » à travers des Ecoles puis des Universités. L’empire romain avait trois grandes écoles de droit, à Rome, Constantinople et Beyrouth qui subsista jusqu’au VIème siècle et fut dévastée en 554 par des tremblements de terre.
Professeur à l’Université de Beyrouth de 1967 à 1971, notre invité évoque cette grande école juridique libanaise et la création des premières universités en Italie, à Bologne, puis à Paris pour le droit canon, Toulouse pour le droit civil. « Toulouse, le retour aux sources »...
« Le droit n'est pas une technique mais se pense »
Revenir aux sources, c’est aussi se demander ce qu’est le droit ? Le droit en 2011 a-t-il la même signification qu’il y a un siècle ? La « sacro sainte » distinction – summa divisio - droit public/droit privé a-t-elle encore sa raison d’être ? Et de citer le professeur Jean-Yves Chevallier, professeur émérite de l’université de Rennes I, qui disait à l’occasion d’un colloque sur le thème « Qu’est-ce qu’un juriste ? » : « Conjuguer ce verbe « enseigner » riche de contenu, assorti d’un complément d’objet tout aussi vaste et diversifié constitue une véritable gageure ».
M.B. Lahorgue : Qu’est-ce qu’un « professeur de droit » en 2011 ? A quoi forment encore (ou devraient former) nos facultés ? Peut-on parler de « spécificité des études juridiques » ? Le statut de « science » peut-il être reconnu au droit, dans la mesure où nous parlons de « sciences juridiques » ? Par conséquent, les objectifs poursuivis par l’enseignement du droit (Pour Platon, il s’agissait de former des esprits) diffèrent-ils fondamentalement de ceux des sciences « dures »?
Le droit est-il fait pour s’enseigner en théorie ou s’appliquer en pratique ? (On reparle de créer des Ecoles de droit).
Autant de questions qui introduisent la problématique de la recherche en droit. Existe-t-elle seulement ? Les scientifiques en doutent souvent…..Peut-on parler de recherche fondamentale et/ou de recherche appliquée en droit ? Un enseignant à la faculté n’est d’ailleurs plus seulement « enseignant » mais aussi un « enseignant-chercheur ».
Ne devrait-on pas différencier à nouveau les thèses d’Etat et les thèses professionnelles (ou « pratiques » chez les scientifiques) ?
Autant de questions auxquelles le professeur Delvolvé répond avec conviction et parfois fermeté.
Enseigner le droit : un métier comme les autres, un jeu ou un sacerdoce ?
Le professeur Delvolvé est à la fois un enseignant mais aussi un « comédien du droit ». Le Petit Juriste parle d’ailleurs de sa « chaire-scène ». La Revue de droit administratif le décrit tel un comédien « Jamais de notes ! » clame-t-il. Pas de discours préparé non plus pour son entrée à l’Académie. L’art de l’improvisation ?
Platon à travers ses dialogues présente d’une certaine façon des théories juridiques. Socrate répond par d’autres questions. Ses interlocuteurs sont ainsi conduits à se remettre en question et à élaborer une nouvelle connaissance. Cette méthode peut-elle encore faire ses preuves académiques ? Le professeur de droit nous délivre quelques conseils méthodologiques, notamment sur la place du « verbe » qui a encore toute sa place au milieu des cours en ligne et autres bases de données. Il donne le sens du mot «cours magistral» en 2011.
Les résultats d’un groupe de travail tenu en 2006 sur l’enseignement juridique soulignaient le doute et le mauvais moral des juristes universitaires. A l’heure où il a quitté l’université, le professeur Delvolvé dresse son propre constat en la matière, et formule quelques recommandations à l’endroit des institutions et des hommes.
En guise de conclusion
Notre invité s’adresse aux plus jeunes auditeurs de Canal Académie. Il leur livre la clé de la liberté et finalement de la réussite : la langue française.
En quittant l’université, il avait cité des extraits de La dernière classe d’Alphonse Daudet (Contes du lundi. Paris: G. Charpentier. 1888.). Dans ce conte, l’auteur narre le dernier cours en français d’un instituteur alsacien, avant qu’un nouveau maître prussien n’arrive sur ordre de Berlin. C’est un peu à cet Alsacien que Pierre Delvolvé s’est identifié durant sa carrière : enseigner sa passion du droit mais aussi du français comme cet instituteur qui lors de son dernier cours se mit à parler de la langue française.
« (…) la plus belle, la plus claire ;
Il faut la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que,
quand un peuple tombe esclave,
tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison ».
Le professeur Delvolvé, quittant l’amphithéâtre sous les vivats de son public, avait alors appelé les étudiants à « être polyglottes tout en respectant la langue française".
Quelques éléments biographiques :
Pierre DELVOLVÉ est né le 16 septembre 1940 à Malause, commune du Tarn-et-Garonne située sur la rive droite de la Garonne, entre Montauban et Agen.Diplômé de l'Institut d’études politiques de Paris en 1962 (section service public), puis docteur en droit des facultés de droit de Paris en 1966. Il soutient, le 26 mars, une thèse intitulée Le Principe d'égalité devant les charges publiques, préfacée par Georges VEDEL et publiée en 1969 à la Librairie générale de droit et de jurisprudence. Il est agrégé de droit public le 19 décembre 1966.
Il est successivement professeur à l'Université de Beyrouth (1967-1971), à l'Université de Toulouse I (1971 -1981) et enfin à l'Université Panthéon Assas Paris II (1981 – 2010). Ancien Directeur de l'École doctorale de droit public, science politique et science administrative de Paris II et ancien responsable du DEA de droit public de l'économie, il y enseigne le droit de la réglementation économique.
Membre du jury et président du concours d'agrégation de droit public en 1999 - 2000, il est responsable de la Conférence d’agrégation de droit public de 2000 à 2009.
Ses compétences l’ont par ailleurs conduit à exercer des responsabilités extérieures à l’Université en qualité de :
- Membre du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel 2003/2006
- Membre du Comité consultatif auprès de la Commission européenne pour l'ouverture des marchés publics depuis 1997
- Membre depuis 1983 et Vice-président du Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco (2003-2007)
- Expert auprès du Conseil de l’Europe
- Membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (2002- 2005)
Le 14 décembre 2009, il est élu à l'Académie des sciences morales et politiques au fauteuil de Jean FOYER (Section III Législation, droit public et jurisprudence). Il donne son dernier cours à l'université Panthéon-Assas, le 12 mai 2010, devant un public nombreux (élèves, conseillers d'Etat, professeurs...). Le 4 décembre 2010, se déroule à l’université la cérémonie de remise d’épée. Le 2 mai 2011, le professeur Delvolvé prononcera sa "notice sur la vie et les travaux" de Jean FOYER.
♣♣♣
Principaux ouvrages
- Dans le cadre des travaux de l’ASMP : " Les entreprises publiques et le droit de la concurrence ", in Quel avenir pour les entreprises publiques ?, sous la direction de Roland Drago, 2001, p. 51.
- Le droit administratif, Dalloz-Sirey, Collection : Connaissance du droit, 240p., 5e édition (2010)
- Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 2009, coauteur depuis 1990 avec Marceau LONG, Prosper WEIL, Guy BRAIBANT, Bruno GENEVOIS
- Droit public de l'économie, Dalloz - Sirey, Collection : Précis Dalloz, 799 p., 1998
- Le Principe d'égalité devant les charges publiques, Préface de Georges VEDEL, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 468 p. (1969)
- Coauteur d’ouvrages de droit public avec le doyen Georges VEDEL et d’un traité de droit des contrats administratifs avec le professeur de LAUBADERE et le professeur émérite Franck MODERNE.
- Co-directeur, avec Franck Moderne puis avec Pierre Bon, de la Revue française de droit administratif
♣♣♣
Distinctions
Chevalier de la Légion d’honneur
Commandeur de l’Ordre national du Mérite
Commandeur de l’Ordre des Palmes académique
- Pierre Delvolvé, à l'Académie des sciences morales et politiques