Pierre Rosenberg, un moment essentiel de ma vie
Pierre Rosenberg, de l’Académie française, répond à la première question de la série "l’Essentiel avec..." posée par Jacques Paugam : quel a été, à vos yeux, dans votre parcours, votre carrière, votre vie, le moment essentiel ? Écoutez la réponse de ce grand spécialiste du dessin et de la peinture française et italienne des XVIIe et XVIIIe siècle, l’une des personnes ayant le plus apporté au monde de l’art durant ces trente dernières années. L’occasion de découvrir le parcours d’un homme passionné, directeur du Musée du Louvre de 1994 à 2001.
1- Quel est à vos yeux dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, le moment essentiel ?
P.R. : C’est une question difficile. Pour moi le moment essentiel a été un télégramme envoyé par André Malraux, alors que j’étais à Yale, m’annonçant ma nomination au Louvre. À l’époque les nominations ne se faisaient pas comme de nos jours. Aujourd’hui il y a un concours : les élèves intègrent une école qui les rétribue.
De mon temps il y avait également un concours. Nous entrions dans la section supérieure de l’école du Louvre, mais il n’y avait aucune garantie de poste et encore moins de salaire pendant de très nombreuses années. Les chargés de mission étaient appelés « attaché libre », c’est assez drôle comme image ! Cela signifiait que nous ne percevions aucun salaire. Nommé assez jeune au Louvre, j’ai eu la chance d’être rémunéré rapidement. C’était à la fin de 1961. J’ai reçu ce télégramme qui m’a rempli de joie.
Je ne m’y attendais pas car à l’époque le département des peintures du Louvre, l’endroit où je souhaitais ardemment entrer, avait pour patron Germain Bazin, grand spécialiste de l’architecture, notamment de l’architecture brésilienne. Un personnage difficile et un grand savant dans un certain sens. Il ne m’aimait pas. Et il se trouvait que Malraux n’aimait pas Bazin alors il m’a nommé. J’y suis resté pendant très longtemps, je n’ai pas quitté le département des peintures jusqu’à ma nomination comme président directeur du Louvre.
J.P. : Vous aviez aussi commencé des études de droit. Pourquoi avez-vous penché d’un côté plutôt que de l’autre ? Votre père était un grand avocat.
P.R. : Il pensait que c’était plus sûr d’hériter d’un cabinet d’avocat que d’entrer dans ce métier compliqué. Je l’ai dit, à l’époque les postes en art étaient rares. Ils le sont encore aujourd’hui. Avais-je les dons nécessaires pour devenir conservateur ? J’ai mené de front des études de droit jusqu’à la licence et je suis entré au Louvre à la fin de 1961. A l’époque j’avais déjà consacré une exposition à mon peintre de prédilection, -il l’est resté-, Poussin.
Jacques Paugam : Votre mère n’a-t-elle pas joué un rôle essentiel dans votre choix ?
P.R. : Mes parents ont quitté l’Allemagne nazie en 1933. Je suis né quelques années plus tard à Paris. Mes parents étaient francophiles et francophones mais comme beaucoup d’immigrés, ils connurent des années difficiles durant ces années d’avant guerre. Les étrangers avaient des difficultés à trouver du travail, à se faire naturaliser. Je suis un fils de l’immigration et je n’en tire aucune gloire ni aucun complexe.
Ma mère était la fille d’un très célèbre gynécologue qui a beaucoup écrit et à qui des chercheurs consacrent régulièrement des thèses. Des étudiants en médecine venaient voir ma mère afin de récolter des souvenirs de son père qui était plus ou moins accoucheur officiel de la cour de Russie. Il racontait que, pour se rendre en Russie, mieux valait partir les poches vides car les routes n’étaient pas sûres. Mais à chaque étape, il y avait un banquier qui était là pour vous donner de l’argent.
J.P. : Et votre mère vous a poussé dans cette voie ?
P.R. : Mon grand-père était un peu collectionneur de tableaux et ma mère m’a entraîné dans les musées très jeune. Vous savez que nous sommes dans un pays où malheureusement l’école ne remplit pas ses missions. Nous y reviendrons. En tout cas c’est à mes parents que je dois mon amour des musées et des œuvres d’art. Je me souviens très bien de mes premières visites au Louvre et de mon premier achat : une gravure de Lurcat, bien modeste gravure d’un artiste oublié aujourd’hui.
Jacques Paugam : vous êtes resté 39 ans au Louvre. Vous avez été président du Louvre pendant 7 ans. Et vous avez écrit un livre qui s’intitule Dictionnaire amoureux du Louvre. Nous pouvons dès lors parler d’une longue passion.
P.R. : C’est incontestable. J’y ai fait toute ma carrière. J’ai eu cette chance extraordinaire d’avoir connu un Louvre « médiéval. » Le terme médiéval n’est pas le plus approprié. Je veux évoquer par cela un Louvre dans lequel il n’y avait pas la lumière dans toutes les parties du musée, dans lequel il n’y avait pas de toilettes. D’avoir vécu sa transformation pour devenir le premier musée du monde, c’est une expérience amusante.
Dans l’intégrale de l’émission notre invité répond aux 6 autres questions de Jacques Paugam :
o Que vous parait-il essentiel de dire sur votre domaine d’activité ?
o Qu’est-ce qui est essentiel à dire aujourd’hui sur l’état de la société ?
o Quelle est selon vous la plus grande hypocrisie de notre temps ?
o Quel est l’événement de ces dernières années ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?
o Quel a été le plus grand échec de votre vie ?
o Aujourd’hui quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?
En savoir plus :
- Pour découvrir les réponses aux 6 autres questions essentielles, lisez l’intégralité du texte et écoutez en entier l’émission "L’essentiel avec...Pierre Rosenberg, de l’Académie française."
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