Roger Caillois, le disciple d’Orphée
C’est le jeudi 20 janvier 1972 que Roger Caillois était officiellement reçu sous la coupole, pour occuper au sein de l’Académie française, le troisième fauteuil, précédemment occupé par Jérôme Carcopino. Portrait dressé par David Gaillardon au travers des discours de l’Académie.
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«Messieurs, qui avez des manières bien à vous d'accueillir les plus rétifs et qui savez oublier leurs turbulences, parfois leurs blasphèmes, vous n'ignorez pas que je vous arrive de plus loin qu'il n'est coutume»...
C'est par ces mots que Roger Caillois commençait son discours sous la coupole, ce 20 janvier 1972, accueilli par René Huyghe, directeur de l'Académie.
Né à Reims en 1913, ancien élève dans cette même ville de Georges Bidault, avec qui il devait ensuite partager le même amour de la France libre, Roger Caillois intégra brillamment l'Ecole Normale Supérieure.
Cet agrégé de grammaire fut d'abord séduit, dans l'effervescence des années qui suivirent la Grande Guerre, par le surréalisme, dans lequel il se plongea avec délices pour s'apercevoir ensuite de l'impasse que constituait ce mouvement de pensée, divisé en autant de chapelles que d'adeptes...
Avec plus de suspiçion sans doute mais tout autant d'intérêt, il se pencha ensuite vers le marxisme et vers le freudisme, là encore pour s'en détacher bientôt tout à fait.
Fondateur du Collège de Sociologie (en 1938), Caillois a ainsi fréquenté "toutes les écoles de pensée" de l'entre-deux-guerres sans jamais être définitivement affilié à aucune. Ainsi que devait le souligner le professeur René Wolf, qui lui rendait un hommage funèbre au nom de l'Académie française, le 11 janvier 1979 : «il était libre, indépendant, disponible; il était classique par le style et la culture»...
Celui que René Huyghe qualifiait affectueusement «d'esprit le plus curieux de notre temps» fut un académicien assidu. Il se montra jusqu'à sa mort, en 1978, un homme attaché aux corps constitués, qu'il décrivait comme étant à la fois officiels et indépendants.
Les académies et l’étonnement de Caillois
En 1972, Caillois, constatant l’évolution du monde contemporain et la stabilité des académies, déclarait : "Il semble même aléatoire que demeurent des ilôts de constance et de sérénité... où sont respectées, honorées, entretenues, certaines habitudes de tolérance, de réflexion, de sang-froid et d’objectivité. L’atmosphère des Académies semble parfois la plus propice à l’indispensable perpétuité de ces vertus... qui n’apparaissaient que les courtoisies de l’intelligence à l’égard d’elle-même. Peut-être le jour est-il proche où l’on s’apercevra que de telles collégialités... sur qui n’ont d’influence appréciable ni les passions ni les pouvoirs, ne sont un luxe qu’en apparence".
Cet éditeur qui fit découvrir aux Français la littérature sud américaine, ce résistant qui fit entendre la voix de la France libre outre-atlantique, cet homme de gouvernement enfin a laissé une oeuvre dense et fort diverse, touchant aussi bien à l'art, la critique littéraire, la sociologie, la minérologie ou les insectes.
Marguerite Yourcenar, qui lui succéda à l'Académie française en 1981, devait lui rendre un magnifique hommage, expliquant notamment comment cet esprit à la fois pragmatique et curieux était, selon elle, parvenu développer une "mystique de la matière", à la manière de Maître Eckart.
Lecture, à l'issue de l'émission, d'un extrait des Impostures de la poésie (texte paru chez Gallimard, en 1944), par Fernand Guiot, comédien.
Impostures de la poesie
Parmi les oeuvres de Roger Caillois disponibles en librairie :
Le Mythe et l'homme, 244 p., Gallimard
L'Homme et le sacré, 256 p., Gallimard
Les Jeux et les hommes, 308 p., Gallimard
En savoir plus sur :
- Roger Caillois de l'Académie française
- Marguerite Yourcenar, qui succéda à Roger Caillois
A lire :
- Jacqueline de Romilly a publié, en 2001, aux éditions Fata Morgana, un opuscule intitulé "Roger Caillois, hier encore" (ils étaient tous deux de la même promotion de l'ENA en 1933).
Le regard de Louis Monier, photographe :
" J'ai rencontré Roger Caillois chez lui, plusieurs fois, en présence d'Armand Salacrou. Caillois était un homme très chaleureux. Je me souviens d'une anecdote qui m'avait amusé : lors d'un salon du livre à Nice, ma femme, par commodité de conversation, s'était agenouillée devant un auteur qui lui, était resté assis. Caillois passant par là, s'insurge en rappelant que c'est à l'homme de ployer le genou devant la femme ! "
Écoutez nos émissions sur Marguerite Yourcenar :
- Connaissez-vous le musée Marguerite Yourcenar ?
- Marguerite Yourcenar par Jean-Denis Bredin, de l’Académie française