Les Académiciens racontent l’Histoire : Eugénie (1/2)
Qui était la jolie espagnole Eugenia Maria de Montijo de Guzman, comtesse de Teba, que Napoléon III, éperdument amoureux, épousa en 1853 à Notre-Dame-de-Paris et qui deviendra impératrice des Français ? Pour esquisser son portrait, nous avons choisi cinq académiciens : Ernest Lavisse, Maurice Paléologue, Prosper Mérimée, Octave Aubry, et Georges Lacour-Gayet. Les quatre premiers ont côtoyé ou rencontré l’impératrice, les deux autres ont récolté des témoignages de ses proches et des documents d’époque. Tous nous la rende présente et attachante.
Nous procèderons un peu à la manière des impressionnistes : par petites touches grâce aux descriptions, aux anecdotes, aux éclairages apportés par ces auteurs. Car comme l’écrit Octave Aubry dans la préface de son livre « l’Impératrice Eugénie » publié en 1931 chez Fayard : « Dans l’histoire moderne, peu de figures ont reçu plus d’hommages et plus d’affronts. Si contrastée, si diverse, cette vie allongée sur un siècle a connu tous les soubresauts du sort. Femme du monde muée en souveraine, Espagnole devenue Française, éprise du pouvoir et l’exerçant, puis précipitée à l’abîme sans rien perdre de sa fierté, elle a vu disparaître son fils dans la plus inutile aventure et, pendant cinquante ans, a attendu la revanche qui vengeât ses morts et lui permît de s’en aller en paix. »
Quand Eugénie de Montijo, d’origine espagnole et fille cadette du comte et de la comtesse de Teba, épouse Napoléon III le 30 janvier 1853, elle a 26 ans révolus. Victor Hugo, de Jersey où il est exilé s’écrie « L’aigle épouse une cocotte !».
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Après la défaite de Sedan en septembre 1870, Eugénie se réfugie en Angleterre. L’Empereur, son époux meurt en Angleterre en janvier 1873. Son fils unique Louis-Napoléon, « le petit-prince » est tué en 1879 par les Zoulous en Afrique du Sud à l’âge de 24 ans. Eugénie « devait survivre 40 ans à ses douleurs » (in Lacour-Gayet ch XIV p 91). Elle meurt à Madrid -en 1920 à l’âge de 94 ans. ….
Le premier volet de ce portrait proposé par Canal Académie, évoquera les heures lumineuses du règne et la fête impériale ; le second s’attachera davantage aux revers de la politique impériale, aux périodes sombres, aux deuils et à la vieillesse d’Eugénie.
Pour commencer, écoutons le témoignage d’ Ernest Lavisse, nommé précepteur du prince impérial en 1868 par le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy. Lavisse était adjoint au précepteur principal Augustin Filon qui garda la haute main sur l’éducation du « petit prince » et le suivit en exil. Cet historien a laissé son nom aux « manuels Lavisse » à l’intention des professeurs, des instituteurs et des élèves. Il fut membre de l’Académie française de 1892 à 1922.
Voici un extrait de la préface rédigée par Ernest Lavisse pour le livre d’Augustin Filon intitulé « Souvenirs sur l’impératrice Eugénie » publié chez Calmann–Lévy en 1889-1891:
« L’Impératrice était belle, et sa beauté a été justement célébrée. En 1867, quand Filon la vit pour la première fois, le temps avait marqué sur elle les traces de son passage; mais on admirait la grâce de toute sa personne, de ses saluts, de ses révérences, de son sourire, la fine ossature de son visage, et le charme de ses yeux, tout proches l’un de l’autre, si vivants, si vifs, où j’ai vu maintes fois succéder au sourire une large larme qui voilait le regard. Chez elle aucune pose, aucun souci de l'effet. Les jours de cérémonie, sous le manteau impérial et le diadème de pierreries, elle prenait sans effort l’air de majesté; mais, dans la vie quotidienne, elle apparaissait "plus simple et plus naturelle qu’aucune des femmes qui l’entouraient". Même les gens les plus timides se sentaient à l’aise avec elle après quelques minutes de conversation… »
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Maurice Paléologue, diplomate, historien et essayiste français, élu à l’Académie française en 1922, a rencontré l’impératrice à plusieurs reprises. Dans l’ouvrage « Les entretiens de l’impératrice Eugénie » publié en 1928 chez Plon, l’impératrice se souvient d’heures particulièrement exaltantes de son règne et elle relate elle-même quatre souvenirs brillants.
Voici un extrait de ces entretiens de l’impératrice Eugénie avec Maurice Paléologue :
« — Parmi tant de belles heures qui ont jalonné votre règne, quelles furent les plus radieuses, les plus exaltantes, je veux dire surtout celles qui découvraient devant vous les plus séduisants mirages ?
Sans la moindre hésitation, l’Impératrice Eugénie répond :
— Oh! D’abord, le baptême du prince impérial, le 14 juin 1856. Pendant le trajet des Tuileries à Notre-Dame, j’étais seule avec l'empereur dans le carrosse pompeux de notre mariage. Le prince impérial, ses gouvernantes et sa nourrice occupaient la voiture précédente. C’était vers six heures du soir. Des maréchaux cavalcadaient à nos portières. On nous acclamait frénétiquement. Le soleil, qui commençait à décliner, empourprait la rue de Rivoli; nous défilions dans une lumière éblouissante. Près de moi, l’empereur restait silencieux ne s’occupant qu'à saluer. Je ne lui disais rien non plus, parce qu'une allégresse ineffable me soulevait l'âme; je me répétais intérieurement : « C'est par cet enfant, c'est par mon fils, que la dynastie napoléonienne s'enracinera définitivement sur la terre de France, comme s'y est implantée, il y a huit siècles, la dynastie capétienne ; c'est lui qui mettra le sceau définitif à l'œuvre de son père ! ...
Et pourtant une voix secrète me chuchotait que les mêmes pompes officielles, les mêmes ovations populaires, les mêmes salves d’artillerie, les mêmes volées de cloches avaient célébré les baptêmes du dauphin Louis XVII, du roi de Rome, du duc de Bordeaux, du comte de Paris. Et qu’étaient-ils devenus, ces pauvres enfants ? La prison, la mort, l’exil ! ... Mais une autre voix plus forte me rassurait aussitôt, me dilatait le cœur, me remplissait de confiance et d’orgueil… A la fin de la cérémonie, lorsque l’empereur a élevé notre fils dans ses bras pour le montrer au peuple, mon émotion est devenue soudain si poignante que mes jambes se sont dérobées sous moi, et que j’ai dû m’asseoir précipitamment… »
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Quels étaient les goûts d’Eugénie en matière de décoration, de toilettes ?
Octave Aubry publie « l’Impératrice Eugénie » en 1931 chez Arthème Fayard et Cie, Editeurs. Octave Aubry (1881- 1946) est historien et romancier. Peu avant sa mort, il est élu à l’Académie française en février 1945. Il décrit la souveraine en ses appartements :
« Ce cabinet de travail, qu'elle a disposé à son goût, est la seule pièce où elle se sente chez soi, « dans ce grand meublé des Tuileries » (mais, ajoute-t-elle en riant, j'en ai connu de plus médiocres!). Les boiseries sont d'acajou, les murs tendus de gourgouran à raies vertes. De chaque côté de la cheminée de marbre rouge, chargée d'une laide statue, sont le portrait de la duchesse d'Albe et celui d'Anna Murat, devenue chère à Eugénie, depuis le jour où bravement elle s'est déclarée pour elle. Sur un autre panneau, Napoléon III, effigie appliquée de Cabanel. Epaisses tentures, meubles de style anglais, sièges de satin à capitons, beaucoup de bibelots sur les tables, les étagères, des palmiers nains, des fleurs artificielles, des photographies de toutes tailles. L'ensemble paraît lourd, mais sans prétention, intime. L'Impératrice s'est ménagé un retrait derrière un paravent de verre garni de plantes vives. Elle s'assied là dans un fauteuil bas, les pieds sur un tabouret, protégée du foyer par un écran de soie verte. Sur une petite table, à main gauche, elle a son buvard, son encrier, ses plumes d'oie, quelques reliures aux armes de Marie-Antoinette, une Imitation de la vie de Jésus Christ qui vient de la reine Hortense et une miniature du comte de Montijo. Tout cela en ordre fixe. Eugénie est méticuleuse, et quand quelque objet ou quelque meuble se trouve déplacé, elle s'en irrite, tance ses serviteurs. »
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Georges Lacour-Gayet est historien, né en 1856 à Marseille, mort à Paris en 1935. Il fut élu à l’Académie des Sciences.
Georges Lacour- Gayet dans « l’Impératrice Eugénie » publié aux Editions Albert Morancé en 1925 fait, suivant ses propres termes, « une esquisse rapide de la vie et du rôle de l’Impératrice Eugénie, mais une esquisse qui s’est efforcée d’être complète en exposant ce caractère de femme et son action dans ses manifestations diverses ; une esquisse qui a entendu demeurer, d’un bout à l’autre, dans le domaine de l’histoire impartiale et véridique. »
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Georges Lacour-Gayet confie:
« Ce qu'on pouvait apprécier en elle, c'était un goût marqué pour les choses de l'esprit, une curiosité naturelle de connaître, une érudition peu commune chez une femme. Elle aimait beaucoup à lire, surtout les ouvrages d'histoire, de philosophie, de sciences ; elle en faisait des résumés pour elle-même, « La fantaisie lui était venue, » rapporte Jules Simon, une noble fantaisie et bien digne du rang qu'elle occupait, de se faire enseigner l'histoire de France. Elle demanda un maître à M. Duruy, qui lui désigna Fustel de Coulanges. Fustel de Coulanges était indépendant. Cette indépendance ne l'empêcha pas de réussir.
L'Impératrice, et c'est un hommage à lui rendre, goûta beaucoup les leçons du jeune maître. Ces leçons se prenaient dans la bibliothèque des Tuileries, devant l'embrasure d'une large fenêtre. L'auteur de "la Cité antique", en habit noir, commença ses conférences par un tableau des sociétés primitives, en particulier de la vieille civilisation égyptienne.
Son auditoire se composait de cinq ou six femmes ou jeunes filles, groupées autour de l'Impératrice; l'Empereur assista à quelques-unes de ses leçons. Pour ceux qui ont connu la probité scientifique de Fustel de Coulanges, il est certain que la nature de l'auditoire n'enlevait rien au sérieux et à l'autorité de sa parole.»-
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Autour de l’impératrice gravite toute une cour, avide de fêtes et de distractions. Les souverains se déplacent suivant les obligations protocolaires et les saisons, des Tuileries à Saint Cloud, Fontainebleau ou encore Compiègne.
Né en 1803 à Paris, Prosper Mérimée, est l’auteur de romans et de nouvelles comme Mateo Falcone, la Vénus d’Ille, Colomba, Carmen. En 1866 il dédie à l’Impératrice sa nouvelle La chambre bleue. Il « n’aime, dit-il, de l’histoire que les anecdotes ». Il sera inspecteur général des monuments historiques et, à ce titre fera de nombreux déplacements en France et à l’étranger. Il entre à l’Académie française en 1844. Sur l’insistance de l’impératrice il acceptera à 50 ans, un poste de sénateur.
L’écrivain et académicien Prosper Mérimée, qui connaissait Eugénie du temps de son enfance espagnole, et qu’elle appelait « don Prospero », était un familier de ces réunions et faisait souvent fonction d’amuseur. Un jour de pluie, pour distraire les invités il aurait « arrangé un concours d’orthographe, au moyen d’un texte assemblé par lui qu’il nommait « la dictée de l’Académie. » (voir O. Aubry p 180).
Dès 1839, Mérimée a entretenu une correspondance suivie avec la comtesse de Montijo, la mère d’Eugénie résidant en Espagne. « Cette correspondance se prolonge jusqu’au mois de juillet 1870. Mérimée écrit sa dernière lettre, et meurt. L’impératrice quitte les Tuileries. Le rideau tombe. Le spectacle est fini. Or, ce spectacle avec son prologue, ses péripéties et son dénouement, revit tout entier dans cette incomparable série de Lettres. Le public est, désormais, dans la confidence. » (Amitié, grandeur, magnificence, et, finalement, mort… : par l’Académicien Gabriel Hanotaux, préface aux Lettres de Mérimée à la Comtesse de Montijo. 1930. Edition privée).
Dans sa lettre du 28 avril 1860 Prosper Mérimée s’adresse ainsi à la mère d’Eugénie, la Comtesse Montijo :
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« Chère Comtesse,
J'ai reçu hier votre lettre du 20, qui me parait être un peu amusée sur la route. Je veux vous parler de la fête donnée chez vous où vous manquiez beaucoup. En avant de votre maison, et du côté de l'avenue, on avait fait une galerie en bois ; derrière la maison, dans le jardin, une immense aile à manger, où l'on descendait par des escaliers. Tout autour une galerie qui pourtournait la salle. Quand, à deux heures, on a ouvert les portes, le coup d'oeil était magique, surtout quand les saIles, les escaliers et les galeries ont été couverts de femme en costume brillants et tout cela inondé de lumière électrique. Vous savez qu'il y avait une entrée de seize femmes représentant les quatre éléments.
Elles étaient presque toutes très jolies, très décolletées et avec des jupes fort courtes. Mme de Labédoyère et Mlle Érazo étaient à croquer.
Seulement les naïades étaient poudrées avec des paillettes d'argent qui, tombant sur leurs épaules, ressemblaient à des gouttes d'eau. Les mauvaises vues comme la mienne, les croyaient trempées de sueur, et on a ait envie de les bouchonner comme des chevaux de course.
La princesse Walewska avait beaucoup de perles et de diamants très beaux. Mme Bourgoing était en madame Polichinelle ; la princesse Mathilde en Nubienne peinte couleur de bistre, si bien que personne ne la reconnaissait. La princesse Anna, qui était restée avec la couleur de sa peau et qui en montrait beaucoup, aurait donné de l’appétit à un ogre repu. La fille cadette de lord Cowley était en Muse, ou Grâce, ou je ne sais quoi, excessivement belle, mais ayant un maillot sur l’estomac, ce qui faisait demander pourquoi elle exposait tant de choses et pourquoi elle les enveloppait de façon à ce qu’on ne pouvait rien vérifier.
Il m’a semblé qu’en général on montrait bien des choses. Surtout les pieds et le bas des jambes, qu’on n’avait pas vus depuis 1825, produisaient beaucoup d’impression. Dans les valses on constatait la présence ou l’absence des mollets. Malheureusement il y avait trop de monde pour qu’on pût choisir le point de vue… »
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Eugénie se préoccupait de la condition féminine : le peintre animalier Rosa Bonheur est la première artiste féminine à recevoir la légion d’honneur des mains de l’impératrice en 1865. En 1861 Julie-Victoire Daubié fut la première bachelière. Lors de l’exposition universelle de 1867, l’impératrice lui remit la médaille de bronze pour la renommée de son œuvre de journaliste.
Eugénie s’intéressait aussi aux pauvres gens, l'académicien Lacour- Gayet le confirme :
« Les fondations charitables, inspirées et patronnées par l'Impératrice, forment une liste, dont la longueur et la variété sont à l'honneur de la Souveraine: patronage des Sociétés de charité maternelle, pour donner des secours aux femmes en couches; fondation de lits pour les incurables; création à Dieppe de la Société de Notre-Dame de Bon-Secours, pour les marins vieux et infirmes; création à Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, d'un second hôpital d'enfants; patronage des crèches et des salles d'asile; fondation aux Eaux-Bonnes de l'Asile Sainte-Eugénie, pour les militaires et malades pauvres fréquentant cette station; fondation de la Société des prêts de l'enfance au travail, dite Société du Prince impérial, qui groupait les enfants en association pour donner des secours aux travailleurs ; création et patronage de la Société centrale de sauvetage des naufragés ; patronage de huit établissements de bienfaisance, la maison de Charenton, l'institut des Jeunes Aveugles, l'institut des Sourds-Muets de Paris, l'institut des Sourdes-Muettes de Bordeaux, l'institut des Sourdes- Muettes de Chambéry, l'hospice du Mont-Genèvre, l'asile de convalescence de Vincennes, l'asile de convalescence du Vésinet; don aux hospices de Lyon du château de Long-Chêne, pour un asile de convalescence ; ouverture de l'Hôpital-Napoléon à Berck-sur-Mer, pour le traitement des enfants scrofuleux...
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Napoléon Ier avait fait de sa mère la protectrice de tous les établissements de bienfaisance et de charité de l'empire français ; c'est une surintendance du même genre qu'exerça pendant dix-sept ans la femme de Napoléon III.
Toutes ces œuvres de charité sociale lui inspiraient une légitime fierté. « C'est là, » disait-elle avec raison, « qu'est l'honneur du règne. »
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C’est ainsi que s’achève le 1er volet de cette émission « Les Académiciens racontent l’histoire » de l’Impératrice Eugénie.
Le second volet sera présenté dans quelques semaines.