Comment aborder le monde du vivant en maternelle ?
Jeune professeur des écoles, Sandrine Guillaumin a reçu le prix La Main à la pâte 2007 pour la réalisation de son mémoire posant le problème suivant : Comment aborder le monde du vivant en maternelle ? Les concepts du vivant et de l’inerte faisant appel à l’abstraction, elle a choisi de travailler sur le monde végétal. Elle revient sur cette belle expérience avec son lot d’anecdotes !
Comme l'explique le psychologue logicien Jean Piaget dans son ouvrage La représentation du monde chez l’enfant, il existe plusieurs étapes clé de l’abstraction à la petite enfance. En s'appuyant sur l’exemple de l’origine du bois et des plantes, il décrit ainsi trois stades dans l’évolution des explications données par les enfants :
- l’artificialisme intégral (4 à 6 ans) : « le bois est conçu comme fabriqué à partir des morceaux résultant du bris des meubles ou bien il vient d’arbres, mais les arbres sont tous faits par l‘homme, soit qu’on ait mis des “bâtons” dans la terre, soit que l’on ait semé des graines fabriquées par les marchands ».
- mélange d’artificialisme et d’explication naturelle (6 à 10 ans) : un processus naturel de formation des graines apparaît mais l’idée que l’homme est nécessaire à la poussée des plantes est encore présente : «L’enfant comprend que le bois vient des arbres et les arbres des graines. En outre, les graines viennent des arbres eux-mêmes. Mais il faut que les hommes les recueillent et les travaillent pour les semer, sans quoi les arbres ne pousseraient pas. »
- explication purement naturelle : un enfant à ce stade donne une explication qui est scientifiquement correcte.
Pour arriver du concret à l’abstrait avec ses deux classes de petite et de moyenne sections, Sandrine Guillaumin a procédé en trois phases :
1. La phase d'observation, exploration consiste à éveiller la curiosité des élèves et attiser leur désir de chercher une réponse au problème posé.
Sandrine Guillaumin a ainsi demandé à ses jeunes élèves de classer les photos d'objets, d'animaux, et de végétaux (peluche, fleur, chat, soleil...) dans deux boîtes : vivant / pas vivant.
Résultats : Seuls quatre élèves dépassent la barre des 60 % de bonnes réponses et seulement deux approchent les 70 %. Par ailleurs, les objets comme l’aspirateur et la voiture, inertes mais mobiles, sont considérés comme vivants par au moins la moitié des élèves.
Enfin, aucun élève n’a conscience qu’une fleur, un arbre, une carotte ou une graine sont vivants.
2. Une fois la phase d'observation terminée, la deuxième étape consiste en la représentation mentale. L'enseignant encourage ses élèves à argumenter leurs réponses, à écouter les idées d’autrui. Un élève capable d’exprimer, de décrire sa pensée et qui en a conscience, a en effet déjà fait un premier pas vers l’abstraction.
Sandrine Guilllaumin a donc pris l'expérience des semis et a posé la question suivante a ses élèves : « Comment faire pour savoir si une graine est vivante ? ».
Les réponses ont été les suivantes :
- « Il faut la mettre dans le jardin »
- « Il faut la mettre dans la terre »
Après avoir laissé germé les graines de harictos et de lentielles, petite et moyenne sections ont décrit avec leurs propres mots, ce qu'ils avaient observés :
- «J’ai vu les petites graines se transformer en plante»
- «J’ai vu du vert sortir de la terre»
- «Les feuilles sont devenues de plus en plus grosses»
- «Ma plante elle grandit et elle penche»
- «Ma graine elle a poussé comme les plantes de ma maman»
- «J’ai vu des fils verts et des fils blancs»
3. Nous arrivons de ce fait à la troisième phase, l'abstraction : l’enfant a atteint ce niveau s’il est capable de transférer les informations nouvellement acquises dans un autre contexte. Ces informations constituent alors de véritables connaissances.
À l’issu de ses séances, l'exercice de classement des photos est réalisé de nouveau. Cette fois-ci, plus de la moitié des élèves, aussi bien en petite section qu’en moyenne section, considère que les graines et les carottes sont vivantes ; un résultat satisfaisant puisqu'en quelques séances, l'enseignant a réussi à faire évoluer les représentations de ses jeunes élèves, et cela, par le biais de l'expérience.
Cet exercice qui peut sembler anodin au premier abord, est en réalité très constructif. Lors d’un stage précedent en classe de CM1, Sandrine Guillaumin avait réalisé la même expérience des photos à classer : les espèces végétales étaient alors supposées non vivantes par environ la moitié des élèves. De nombreuses confusions étaient présentes dans l’esprit de certains.
Sandrine Guillaumin, professeur des école, a reçu le premier prix ex-aequo La main à la pâte 2007, pour la réalisation de son mémoire consacré à la question du monde du vivant en maternelle.
La main à la pâte existe depuis 1996. Initié par Yves Quéré, Georges Charpak et Pierre Léna, tout trois membres de l'Académie des sciences, ce prix vise à valoriser l'apprentissage des sciences à l'école primaire.
En savoir plus :
- Le prix La main à la pâte
- L'Académie des sciences
- Enseigner aux maternelles, site de l'Education nationale : programmes et réflexions sur le développement de l'enfant et l'apprentissage
Écoutez également notre émission L’enseignement des sciences en maternelle en compagnie de Véronique Marchal et Hélène Durand, mention du prix La main à la pâte 2007.