Le judo, un sport haut en couleurs !
A l’occasion des championnats du monde de judo, à Paris, du 23 au 28 août 2011, l’historien Michel Pastoureau analyse les codes de couleurs en usage dans ce sport, à certains égards étranges pour un œil européen. Ce faisant, il élargit le spectre à d’autres disciplines et décrypte le sens et les fonctions de la couleur dans le sport en général.
Longtemps les historiens n’ont pas pris les couleurs au sérieux. Lorsqu’en 1977, Michel Pastoureau fit paraître son premier article sur l’histoire des couleurs au Moyen Âge, il était un chercheur isolé. Depuis, les choses ont un peu changé, même si de nombreux chantiers de recherche restent à lancer.
L’histoire de la peinture par exemple, aussi étrange que cela puisse sembler, est demeurée jusqu’à une époque pas si ancienne une histoire achrome ! Les historiens de l’art travaillaient (et pour certains d’entre eux continuent de travailler) à partir de photographies et de gravures en noir et blanc, au motif que la couleur perturberait l’analyse…
Quant à l’histoire des couleurs dans le sport, ce n’est aux yeux de beaucoup définitivement pas un sujet sérieux. Rien, ou presque, n’a été écrit sur la question, mais tout espoir n’est pas perdu : des étudiants de Michel Pastoureau ont entrepris de défricher ce terrain vierge. Il s’agit pourtant d’une question importante, si l’on songe à la place qu’occupe le sport dans nos sociétés contemporaines. Le sport est en effet un fait de société à part entière, qui mérite donc d’être étudié, au même titre que la politique, l’économie, la culture, etc.
Et les couleurs dans le sport ont beaucoup à nous dire. Elles sont le produit d’une longue histoire, qui remonte à l’apparition au XIIe siècle de l’héraldique, ce « grand système de la couleur créé par l’Occident médiéval », selon les mots de Michel Pastoureau dans un article intitulé « Vers une histoire sociale des couleurs ».
Sensibilité japonaise, sensibilité européenne
Le judo, d'origine japonaise, est lui régi par un code de couleurs qui ne doit rien à l'héraldique médiévale. Les codes de couleurs en usage dans ce sport sont particuliers, envisagés d'un point de vue occidental. De la ceinture blanche (débutant) à la ceinture noire (confirmé), la place de certaines couleurs ne manque pas d'étonner. Tel l'orange entre le jaune et le vert ou encore le bleu, entre le vert et le marron. Et le rouge surtout, qui au Japon est utilisé pour le grade le plus élevé (la ceinture noire 9e et 10e dan est remplacée par une ceinture rouge). Récemment, une dame de 98 ans, de longue date ceinture noire, a obtenu son 10e dan. Une première dans l'histoire du judo.
Ce système des grades de couleurs, Michel Pastoureau le compare à celui en usage dans le ski, où le rouge est placé avant le noir dans l'échelle des difficultés des pistes. Ce qui confirme, s'il en était besoin, que les perceptions des codes de couleurs sont avant tout d'ordre culturel.
Au judo, les adversaires portent un kimono, de couleur blanche, composé d'une veste, le judogi, renforcée au col et aux revers, et d'un pantalon large, moins résistant que la veste. La veste est nouée par une ceinture, de couleur différente selon le grade du judoka. Ce système de grades est un héritage du jiu-jitsu, l'ancêtre du judo, dont il partage la racine ju, littéralement « souplesse ».
Créé par le japonais Jigoro Kano en 1882, le judo est certes un sport de combat, mais un combat pacifique, très codifié. Kano, en substituant le mot do («voie, chemin») au terme jitsu («technique»), modifia en effet plus encore que la lettre, l'esprit de cette discipline, passée d’un seul coup d’une méthode de techniques guerrières à une méthode d’éducation physique et morale.
Qu'est-ce que la couleur ?
Mais parler de la couleur, dans le sport comme ailleurs, pose le problème de sa définition. Car au fond, qu’est-ce que la couleur ? Pour l’historien, le philosophe, le sociologue, l’anthropologue, il n’y a pas une mais plusieurs définitions de la couleur. Au point de vue des sciences humaines, c’est d’abord une notion, une abstraction avant d’être une matière.
Comme Michel Pastoureau le souligne dans son Dictionnaire des couleurs de notre temps, la couleur est surtout un « produit culturel ; elle n’existe pas si elle n’est pas perçue, c’est-à-dire si elle n’est pas non seulement vue avec les yeux mais aussi et surtout décodée avec le cerveau, la mémoire, les connaissances, l’imagination ». Dit autrement, c’est parce que je la regarde que cette valise est verte ; dès lors que je ne la regarde plus, elle n’est plus verte.
Les fonctions multiples de la couleur
Dans le sport, la couleur a de multiples fonctions. Comme dans la vie quotidienne, et plus encore sans doute, elle sert à classer. Elle sert également à différencier le sportif du commun des mortels. Elle sert enfin à égayer, à « donner des couleurs » à la vie de tous les jours, qui pendant longtemps en Occident fut terne, grise, triste (au point de vue des couleurs), tandis que le sport était - et demeure - dès le début du siècle dernier bariolé, chamarré, gai. Mais depuis les années 1960, la dualité entre ces deux mondes s'est effacée : nous baignons dans un univers bien plus coloré que jadis nos aïeux - jusqu’à saturation parfois.
Pour aller plus loin :
- Michel Pastoureau reviendra le 19 septembre 2011 nous parler des couleurs et des blasons, à l'occasion de la coupe du monde de rugby en Nouvelle-Zélande (9 septembre-23 octobre 2011).
- M. Pastoureau, « Vers une histoire sociale des couleurs », dans Couleurs, images, symboles. Etudes d'histoire et d'anthropolgie, Le Léopard d'Or, 1989.
- Les Couleurs de nos souvenirs, Le Seuil, 2010. Prix de l'Essai Médicis 2010.
- Dictionnaire des couleurs de notre temps. Symbolique et société, éd. Bonneton, 1992.
- P. Bonét-Maury et H. Courtine, Le Judo, PUF, « Que sais-je ? », 1971.
- Le site de la Fédération française de judo