Ne pas marginaliser l’usage du français dans les sciences « dures »
Pour les chercheurs, il est important de communiquer et d’écrire en anglais, ceci afin de pouvoir échanger avec leurs confrères dans le monde, mais aussi pour pouvoir être cité dans un maximum d’articles scientifiques. Car aujourd’hui en France, les crédits des chercheurs se jouent en partie sur la bibliométrie ; une technique qui permet de déterminer le nombre de fois où votre article est cité par les confrères. Odile Macchi ne remet pas en cause l’utilisation de l’anglais en science, mais souhaite que l’on ne gomme pas, sous principe de mondialisation, les écrits en français. Explications en compagnie de l’intéressée.
_ Pour Odile Macchi, membre de l'Académie des sciences, la défense du français scientifique fait partie de la défense du français.
Réduire une science à son expression dans une seule langue freine son avancée. Dans bien des pays francophones, les chercheurs réfléchissent usuellement en français, avec les structures de la langue française. Parmi les sciences dures, les mathématiques tirent leur épingle du jeu. En effet, la France possède les meilleurs mathématiciens au monde qui ne se privent pas de publier en français car ils savent qu'ils seront lus et cités. Mais ce sont bien les seuls !
Il est acquis que l'anglais est la langue commune aux scientifiques. Car « pour qu'une découverte soit certifiée, elle doit être confrontée et certifiée par la critique des “pairs” au sein de la communauté mondiale de la discipline concernée » nous explique Odile Macchi. « Le problème c'est que les communications en anglais par des personnes dont ce n'est pas la langue maternelle sont la plupart du temps très mauvaises » précise-t-elle. On en finirait donc par permettre notre latin, à communiquer dans un anglais approximatif et laisser de côté le français ! Pour Odile Macchi, il est très important de maîtriser sa langue initiale pour structurer sa pensée. La langue est importante y compris dans une perspective scientifique.
A l'écrit, la situation est très différente. Il est largement admis que les résultats de la recherche scientifique se publient aujourd'hui en anglais.
Et Odile Macchi poursuit en ce sens : « Il est fondamental que les chercheurs francophones publient dans la langue de Shakespeare car les découvertes de pointe doivent passer dans les grandes revues internationales en langue anglaise. C'est ainsi que se fait connaître la science française. »
Mais le système français de bibliométrie force cependant encore plus les chercheurs français à concentrer leurs écrits en anglais. Car la base de leurs crédits s'appuie sur la bibliométrie. Cette technique consiste à comptabiliser le nombre de citations reprenant les écrits d'un chercheur. De la quantité de citations dépend l'enveloppe budégtaire pour l'année suivante.
Cet outil présente des limites. Comme l'explique Odile Macchi « le nombre de citations ne prouve pas la valeur d’un travail puisqu’un auteur peut (et doit selon l’éthique) citer les articles antérieurs médiocres pour en corriger les insuffisances ou les erreurs ».
A plus long terme, le risque serait de produire des écrits pour le seul but d'être cité plutôt que de produire des connaissances.
L'idéal serait que les chercheurs publient dans les deux langues, en français et en anglais. Les synthèses peuvent être écrites en français et les articles pointus en anglais.
« Il serait bon que les chercheurs seniors écrivent des livres de synthèse sur leur discipline en français. Cela est attendu des étudiants » constate l'intéressée.
Il existe d'ailleurs des publications scientifiques en français comme la revue Traitement du signal qui valorise la recherche en français. « Il est nécessaire que cet effort de publication puisse perdurer. Pour cela la Revue Traitement du signal a fait tous les efforts nécessaires pour l’édition moderne, et pour l’inscription dans la base de données ISI Thomson ».
Pour autant conclut Odile Macchi, « il faut recommander à nos jeunes de faire de gros efforts sur l’anglais ». Ne pas parler anglais est un handicap pour l'avenir.
Odile Macchi est membre de l’Académie des sciences, dans la section Sciences mécaniques et informatiques. Elle est spécialiste de la théorie du signal, de l'information et des communications. C’est notamment grâce à Odile Macchi que nous sommes aujourd’hui passés à l’ère du tout numérique.
En savoir plus :
- Odile Macchi, membre de l'Académie des sciences
- Bibliométrie : Un rapport de 2011 de l’Académie des sciences met en garde contre les dangers d’une mauvaise utilisation de la bibliométrie dans l’évaluation individuelle des chercheurs
- Revue Traitement du signal
- Allocution au déjeuner de “DLF” le 11 mars 2006 au Sénat :
Court plaidoyer en faveur de la grammaire par Laurent Lafforgue, mathématicien membre de l'Académie des sciences