Eugène Delacroix : l’académicien engagé dans sa peinture

avec Maurice Arama, spécialiste de Delacroix et de la peinture orientaliste.
Eugène DELACROIX
Avec Eugène DELACROIX
Membre de l'Académie des beaux-arts

Maurice Arama, spécialiste reconnu de l’œuvre orientaliste de Delacroix, invité au Festival de Fès en 2010, nous raconte, sur place, de quelle manière le peintre de l’Académie des beaux-arts séjourna au Maroc et comment il fut engagé à travers sa peinture dans la cause maghrébine et humaine en général.

Eugène Delacroix, le célèbre peintre, a peint une multitude de toiles pendant sa vie, dont "Le sultan du Maroc et son entourage", réalisé en 1845. En arrière plan figure la porte de Meknès

Maurice Arama passionné par Delacroix ? C'est bien peu dire ! «Je vivais face à la porte de Meknès. Je la voyais chaque jour à chaque instant et voilà que je la découvrais dans les tableaux d'un peintre que je ne connaissais alors guère : Delacroix. Les signaux que je reçus de sa part tout au long de ma vie ont finalement participé à la guider...»

Rencontre originale et tout aussi troublante : «la peinture de Delacroix a suscité beaucoup de questions et j'ai démarré une quête éperdue sur les raisons et les pourquoi de son travail, une quête qui continue encore aujourd'hui. Je n'ai eu de cesse de m'interroger sur la vision du monde par ce peintre de grand talent. Elle n'est pas figée et recèle des mystères.»

Que vient faire Delacroix au Maroc ?

1830 : la France colonise l'Algérie, non sans difficultés politiques. Elle est accompagnée d'une colonisation de peuplement : les militaires français deviennent des colons en s'installant et aménageant le territoire. Aux frontières les esprits sont tendus. Dans les six premiers mois de 1832, Delacroix accompagne l’ambassadeur de France, le comte de Mornay, venu négocier avec le Sultan Abd el-Rahman les arrangements nécessaires consécutifs aux débuts de la conquête de l’Algérie. L’artiste, qui n’avait quitté la France qu’en 1825 pour un court séjour à Londres, découvre dans cette expédition plus que la luminosité du sud : « le sublime vivant et frappant qui court ici dans les rues et vous assassine de sa réalité ».

Un passage par Alger...

Eugène Delacroix par Félix Nadar en 1858 © Paris Cabinet des estampes
Baudelaire à propos de Delacroix : " Tout en lui était énergie... Le tigre, attentif à sa proie, a moins de lumière dans les yeux et de frémissements impatients dans les muscles que n’en laissait voir notre grand peintre, quand toute son âme était dardée sur une idée ou voulait s’emparer d’un rêve"

Avant d'arriver au Maroc, Delacroix arrive en Algérie. Il reste 3 jours à Alger au moment précis où la colonisation vient de commencer. Maurice Arama raconte qu'un document écrit de la main de Delacroix a été retrouvé et atteste de ce que le peintre ressent à la vue du changement qui est opéré dans la ville par les Français. Il voit des choses terribles : des boulevards ouverts au milieu de la ville sur lesquels des mosquées et des cimetières sont démolis ; des cadavres gisant partout ; des gravas à perte de vue... Le texte retrouvé s'intitule "J'ai Vu". Les trois mots sont écrits plusieurs fois avec des grands V comme pour mimer des bras qui se lèvent et le désespoir... Pour Maurice Arama cela permet de comprendre un certain nombre de peintures de Delacroix.

Après l'Algérie, il séjourne au Maroc, puis il rentre en France. Que pouvait-il faire ? «Il venait d'obtenir une commande géante, celle de décorer le palais Bourbon : il n'allait pas attaquer le gouvernement. Peu après, on lui demande de faire une toile sur la conquête d'Alger. Que fait-il ?»

Femmes d’Alger, Eugène Delacroix

«Une toile silencieuse, discrète : Femmes d'Alger. Nul n'a compris ce qu'elle voulait dire pour lui. Cette toile silencieuse représente la résistance de 3 femmes assises ensemble dans leur quotidien. La lumière qui jaillit vient d'un soupirail en biais. Où voit-on ce type de lumière ? Uniquement dans les prisons.»

Delacroix, peintre discret engagé dans sa peinture

Eugène DELACROIX, Cheval sauvage terrassé par un tigre (détail), 1828, encre, aquarelle et gouache, 13,5 x 20,1 cm. New York, collection Karen B. Cohen © Collection Karen B. Cohen, New York

Quel peut être l'avenir d'un peintre sensible à la condition humaine ? «Delacroix était obligé de frayer avec la société pour obtenir des droits d'exposer, des commandes, un peu d'argent. Mais il passait son temps à se cacher derrière ses toiles. Il était rebelle au fond de lui. Trouvez-vous normal la façon dont il dépeint les animaux dans le bestiaire ? Ces tigres qui piétinent des chevaux, ces lions qui dévorent des serpents : qu'est-ce qu'il veut dire ?»

L'homme est distant en société. Il peint pour exprimer ce qu'il ne peut dire avec des mots. Maurice Arama nous incite à déjouer les mystères des tableaux et à noter l'inspiration que Delacroix suscite chez ses contemporains. À titre d'exemple, il nous propose de comparer les tableaux La mort de Sardanapale de Delacroix et Guernica de Picasso.

Guernica, Picasso
La Mort de Sardanapale, Eugène Delacroix




«Vous découvrez alors la même composition ; le même nombre de personnages, un bâtiment qui brûle. Certes, Picasso le fait en noir et blanc car c'était en noir et blanc qu'étaient diffusées les actualités de l'époque sur la guerre d'Espagne...»_




La souffrance de la solitude

Qu'y a t-il à découvrir au-delà de la beauté de l'œuvre ? Un individu fascinant qui est «comme un mille feuilles avec des strates différentes. Quand Delacroix allait dîner chez Adolphe Thiers ou chez des banquiers, il était polissé mais de retour chez lui, il fulminait contre la gabegie, la vaisselle, les cristaux... À travers tout ce qu'il a peint, on comprend la souffrance de l'homme et ses difficultés. Cet homme souffre et plus encore vers la fin de sa vie quand il a peint à six reprises une barque avec des passagers balottés par la houle sur le lac de Génézareth. Le Christ est au milieu des passagers. Que fait-il ? Il dort.»

Le Christ sur le lac de Genezareth

Né à Meknès, Maroc, en 1934, Maurice Arama est historien de l'art et le spécialiste reconnu de l'œuvre marocaine de Delacroix et de la peinture orientaliste. Il a, entre autre, publié : Le Maroc de Delacroix (Prix Elie-Faure 1987); Delacroix. Un voyage initiatique (éditions Non Lieu) ; Eugène Delacroix. Le cri d'Alger (éditions Non Lieu), Comme peintre : Inventer la paix, 4 lithographies, texte de Jacques Attali, Hommage au Aleph, 22 lithographies, texte de Léon Askénazi.



Le Festival de Fès des musiques sacrées du Monde est l’événement marquant de la Fondation Esprit de Fès. Fort de son rayonnement et de sa vocation, le Festival s’inscrit depuis 17 ans dans une mission universelle de paix et de rapprochement entre les peuples. L’impact et le rayonnement national et international de cet événement s’accroît et s’approfondit d’année en année.
Le Festival de Fès parcourt les vastes espaces des chants et des rythmes que les cultures du monde ont créés depuis l’aube des temps.
Le Festival des musiques sacrées du Monde s’est imposé comme un rendez-vous incontournable du dialogue des civilisations et des religions sur les deux rives de la Méditerranée.



En savoir plus :

- Le site web du Festival de Fès

- Le Musée Eugène-Delacroix à Paris

6 rue de Furstenberg 75006 Paris

- Eugène Delacroix à l'Académie des beaux-arts

- Découvrez la demeure de Delacroix grâce à Canal Académie : L’artistique demeure du peintre et académicien Delacroix




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