Le temps des couturières : Madeleine Vionnet et Jeanne Lanvin
L’histoire de deux jeunes couturières Madeleine Vionnet et Jeanne Lanvin qui créèrent leur propre maison de couture et imposèrent un style : l’histoire de la mode dans les années vingt et trente.
Paul POIRET, dès 1906, jette définitivement le corset des femmes aux orties, puis une « modiste » sortie d’on ne sait d’où – Gabrielle Chanel – invente de souples costumes inspirés du vestiaire du duc de Westminster, des vareuses de marins-pêcheurs, des capotes des poilus de la Grande Guerre. Les femmes des villes coupent leurs cheveux, raccourcissent leurs jupes, se séparent de toutes fanfreluches encombrantes, indécentes en ces temps difficiles.
Les Années 20 – Années Folles – celles aussi, selon Ernest Hemingway de la génération perdue, voient s’épanouir un redoutable quatuor féminin qui, ciseaux en main, épingles à la bouche, crée et magnifie la couture parisienne : Chanel bien sûr, avec son subtil instinct et son agaçante insolence, Elsa Schiaparelli qui s’empare du « sportwear » et de l’extravagance, et 2 jeunes femmes d’exception, aux parcours assez parallèles : Madeleine Vionnet et Jeanne Lanvin.
C’est Madeleine Vionnet qui en réalité, fit « sauter le corset » ! Née en Juin 1876 dans le Loiret dans une famille modeste, elle est « mise en atelier » à l’âge de 13 ans, initiée à toutes les techniques de la couture ; à 16 ans elle décide de monter à Paris, et le hasard des ateliers l’envoie en Grande Bretagne où elle découvre les techniques de coupe des tailleurs de Savil Row. Madeleine Vionnet ne dessine pas de croquis, mais armée de ciseaux, elle ouvre sa Maison en 1912, invente le manteau de ville, devient « l’Impératrice de la coupe en biais ». Elle règnera plus de 30 ans sur la mode parisienne, toujours avec une égale invention, un souci de qualité rarement égalé. Ses idées très « sociales » lui font créer bien avant le législateur des cliniques, des crèches, des congés payés pour ses ouvrières auxquelles elle lit Proudhon pendant les longues soirées à broder des diaphanes robes de soirée. Madeleine Vionnet disparaît en 1975, presque centenaire.
Première collection automne 47 : le newlook (Dior) © Françoise Thibaut
Jeanne Lanvin, elle aussi née pauvre le 1er janvier 1867, est « arpète » à 13 ans chez Boni modiste, loge dans l’atelier, fait les livraisons, le ménage ; avec quelques économies et un crédit chez les fournisseurs, elle ouvre sa propre boutique de mode en 1890, rue Boissy d’Anglas : elle a 23 ans ; sa clientèle s’élargit, la fait pénétrer dans le « beau monde » où elle rencontre un bel italien dont elle a une fille, Marie-Laure, source de toute son ambition, qui deviendra comtesse de Polignac. Habillant sa gamine, elle crée de jolies robes « jeunes » qui séduisent ses riches clientes, devient peu à peu couturière sans l’avoir prémédité, spécialiste de la couture « jeune fille ». Célèbre dès avant la Grande Guerre, la pénurie l’incite à avoir sa propre usine de teinturerie. Les Années 20 la consacrent, elle diversifie ses activités, épaulée par sa famille, crée Jeanne Lanvin S.A. en 1927, ouvre des succursales à Deauville, Biarritz, Monaco, impose le tailleur agrémenté d’un chemisier souple. Elle, c’est Zola qu’elle lit à ses ouvrières.
L’idée géniale de Jeanne Lanvin, tout comme celle de Gabrielle Chanel qui inventa ce concept en 1924 avec son Numéro 5, est de financer la couture qui est dispendieuse et rapporte peu, assise sur une clientèle restreinte, par la création de parfums, dont les prix plus abordables, dispensent du rêve à un public large et plus modeste : « Arpège » voit le jour en 1927, et ne cessera jamais de tenir le haut du pavé, concurrent direct du N°5.
C’est cette dimension qui manqua sans doute à Madeleine Vionnet. Toutes les 3 se lancèrent aussi dans un « prêt à porter » vendu en boutique et non sur mesure, directement inspiré des modèles Haute Couture, destiné aux femmes des classes moyennes. C’est en cela qu’elles furent pionnières, faisant descendre leurs créations dans la rue par un subterfuge économique. A elles 3, dans les années 30, elles donnent du travail à plus de 40.000 personnes.
Dior 47-48 © Françoise Thibaut
Après la Seconde Guerre Mondiale, les temps ont changé : Jeanne disparaît en 1946 mais confie sa maison à ses neveux ; la clientèle américaine est là, il suffit de tendre la main et d’avoir l’imagination de s’allier à un créateur de génie : Antonio Canoyas del Castillo. La Maison Jeanne Lanvin devient Lanvin-Castillo, devenue plus que centenaire, à la fois survivante d’une ère de folie créatrice et promotrice d’une démocratisation du luxe.
Christian Dior et un de ses modèles dans les années 50.
Texte Françoise Thibaut