Etre « omnibulé » par les « circonvolutions »...
Il est des fois où, soyons magnanimes, notre langue fourche. C’est à ces moments que quelque paronymie se transforme en barbarisme inexcusable. Afin d’éviter de telles déconvenues, suivez les conseils de Pierre Bénard et cette nouvelle chronique qui distingue "circonvolution" de "circonlocution" et "omnibuler" d’"obnubiler".
_ Les discours dont nous sommes abreuvés, fatigués, nous offrent, comme pour nous tirer de la léthargie où ils nous plongent, de jolis barbarismes dont deux, particulièrement, auxquels il me plairait de faire un sort ici. J’entends par « barbarisme » la formation - par... déformation de mots existants - de vocables qui sont des monstres lexicaux, ou bien l’emploi de termes qui, tout en existant, sont pris dans un sens qui n’est pas leur sens d’usage.
À cette catégorie (les mots employés hors de leur usage normal) se rattache une faute que l’on surprend souvent : je pense à « circonvolution » dans le sens de propos embarrassés, de langage indirect, imprécis, volontairement entortillé, de manière de tourner, dans les formules que l’on emploie, autour de la chose à exprimer, au lieu, si je puis dire, d’y aller carrément. Sens qui évoque celui de « périphrase », même si toute « circonlocution » n’est pas une « périphrase ».
« Circonvolution » au lieu de « circonlocution ». On distingue bien qu’il s’agit d’une confusion, confusion causée par une ressemblance, ce que les savants nomment une paronymie, source ordinaire de barbarismes. C’est la paronymie qui amène à dire « gradation » pour « graduation », « collision » pour « collusion », à dire, voulant parler d’une simple supposition, « Cela n’est qu’une conjoncture », là où il faudrait « Cela n’est qu’une conjecture ».
« Circonvolution » et « circonlocution » se ressemblent : même nombre de syllabes, même préfixe, même terminaison, même séquence vocalique. Et je ne parle pas de la proximité de sens. Mais tout de même ...
Tout de même !
Une « circonvolution », c’est une forme, une figure, celle, par exemple, d’un ressort de traction ou de compression : ce sont des tours décrits autour d’un même centre. Pour fixer les idées, j’emprunterai à Littré l’exemple qu’il nous propose : « Les plaques de bronze font des circonvolutions autour du fût de la colonne de la place Vendôme ». On parle, spécialement, de « circonvolutions cérébrales », et d’autres emplois peuvent être notés, en anatomie comme en architecture, en architecture comme en musique.
Mais, si je veux faire entendre que quelqu’un s’exprime délibérément d’une manière embrouillée, complique à dessein son langage, qu’il dit sans dire vraiment, par crainte de la franchise, de l’idée crue et nue, ou par souci de plaire en faisant de belles phrases, c’est de « circonlocution » qu’il faut parler, de « cir-con-lo-cu-tion », et non de « cir-con-vo-lu-tion ». Pourquoi pas, à ce compte, employer « circonvallation » ? Les « circonvallations », ce sont les lignes fortifiées, les tranchées établies autour d’une place que l’on assiège pour se garder des assauts éventuels d’une armée de secours nous attaquant dans le dos.
« Circonlocution », vous dis-je, ni « circonvolution » (laissez-les au cerveau et à la colonne Vendôme), ni « circonvallation » (laissez-les aux Commentaires de César et à tous ceux qui écrivent de poliorcétique) !
Les poètes ridicules dont se moque Molière cultivaient la circonlocution. C’est contre leurs tortillages, leurs circonlocutions, que s’emporte le bon Chrysale des Femmes savantes quand il tonne, à propos de Trissotin :
« On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé ;
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé. »
Je ne voudrais pas me noyer, et noyer ceux qui veulent bien m’écouter, dans « circonlocution » et « circonvolution ». Pourtant, à étudier les emplois du second là où j’aurais attendu le premier, quelque chose m’apparaît, que je voudrais expliquer. Si c’est toujours par confusion que, dans les cas auxquels je pense, on emploie « circonvolution », il me semble que l’erreur n’est pas toujours complètement fausse, car ceux qui parlent de « circonvolution » en déformant « circonlocution » pensent parfois à autre chose qu’à des détours, à des biais de langage. C’est quelquefois à des complications, à des sinuosités de pensée qu’ils font référence, de sorte qu’ils créent, en quelque sorte, à partir d’une confusion et d’une déformation initiales, un nouvel emploi de « circonvolution », qui sera peut-être un jour recueilli par les dictionnaires, et d’abord par celui de l’Académie, dont le principe est d’enregistrer l’usage. Mais d’autres que moi, à ce moment-là, parleront de ces choses au micro de Canal Académie. Sur quoi je laisse ce point, ne voulant pas ressembler aux pédants et pédantes qui indisposent Chrysale et inspiraient Molière.
Mais je disais, en commençant, qu’il est aussi des barbarismes de forme : des mots qui n’existent nulle part, même dans les plus scrupuleux dictionnaires, des monstres lexicaux, forgés d’après de vrais mots, dont ils portent le sens sans porter exactement les syllabes. Un exemple qui revient souvent, c’est le charmant verbe « omnibuler », qui semble né du croisement d’ « omnibus » et de « déambuler », et auquel on aurait envie, s’il existait encore des omnibus, de prêter ce sens, justement : « déambuler en omnibus ». Mais sous la plume et dans la bouche de ceux qui usent d’ « omnibuler », cette horreur prend la place de la forme « obnubiler ». Le pire est que ce verbe, bien français, « obnubiler », qui, dans le fil de ses origines latines, veut dire « envelopper, voiler comme d’un nuage », a pris depuis longtemps déjà, par glissement de sens, par une extension qui tient du barbarisme, le sens d’ « obséder ». Double faute ...
Bah ! me répondrez-vous, ainsi vont toutes choses et ainsi va la langue. Ne laissez pas ainsi s’échauffer votre bile ! Ne vous laissez donc pas ainsi obnubiler ! Ne prenez pas la succession de Trissotin, de Philaminte et de Bélise ! Je vous entends, mais je persiste.
Veillons sur « circonlocution » et gardons-nous d’ « omnibuler ».
Retrouvez Pierre Bénard sur Canal Académie.