Plain language
Et si on le disait simplement ? Nous sortons d’un déluge de logorrhée politicienne, d’un déferlement de « creuser l’écart » et de « virer en tête », de « duels fratricides » et de « ballottages » ballottés entre deux t et un seul t . Pierre Bénard regrette que, dans ce tumulte, ait pu passer inaperçu un événement considérable : pendant trois jours, à Washington, le congrès de l’association « Clarity International » a rassemblé 150 délégués ayant en commun le souci de mettre de la simplicité dans le vocabulaire des lois, des règlements, des questionnaires, des modes d’emploi... De faire en sorte que chacun, comprenant ce qu’il lit, évite ainsi les pièges du jargon des
professionnels et du galimatias des éternels médecins de Molière.
Les militants du « plain language » réunis à Washington en mai dernier (2012) sous les auspices de «Clarity International » ont dit, en faveur d’une langue simple et claire, des choses toutes simples, fort claires et, selon moi, frappantes.
Annetta Cheek, présidente du centre pour le « plain language » de Washington, s’est ainsi demandé : « Comment peut-on avoir une démocratie quand le citoyen ne comprend pas ce que veut dire le gouvernement ? »
Au dire de la présidente Cheek, « la crise financière mondiale aurait été moins forte si les gens avaient compris les papiers qu’ils remplissaient, s’ils avaient compris que cinq ans plus tard leurs remboursements de crédits allaient exploser ».
Je pense à tous ceux qui souscrivirent des contrats d’assurance vie sans se douter que ce terme innocent, « unité de compte », ne correspondait pas à une somme fixe en francs ou en euros.
Au cours de ce congrès, un professeur de droit, Joseph Kimble, a fait observer que la recherche de la clarté et de la simplicité (tout ce que l’anglais met dans l’adjectif « plain ») est profitable, autant qu’à celui qui lit, à celui qui écrit. S’exprimer simplement suppose que l’on a formé des idées claires. Penser clair pour parler clair ! C’est revenir à ce vieux Boileau :
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. »
Tout cela est bel et bon. J’applaudis à tous ceux qui revendiquent ainsi des lois, des règles, des indications limpides, des instructions qui aient un sens, des éclaircissements qui ne soient pas ténébreux, des gloses qui ne soient pas des ombres déversées sur de l’obscurité, des ordres qui soient des ordres et des interdictions qui, à force d’être bricolées, ne finissent pas par ressembler à des invitations.
Car c’est dans tous les ordres, dans tous les domaines du langage que j’aimerais voir régner le modeste et le clair.
Si un homme politique qui perd une élection pense à reprendre ses chères études, j’apprécierais qu’on me l’annonçât autrement qu’en me révélant qu’il a « opté pour l’inscription dans une démarche délibérée de régression à moyen terme vers ses activités antérieures ».
S’il va faire beau demain, je ne serais pas fâché qu’on me le fît savoir sans me dire que « la météo de la journée de demain affiche une tendance résolument optimiste ».
Si vous ne pensez pas comme moi, ne vous gênez pas pour me l’apprendre autrement qu’en me déclarant que « la perspective intellectuelle dans laquelle vous vous positionnez ne valide pas les analyses qui sont les miennes ».
Si vous avez à me dire non, dites non, ou dites-moi oui pour me dire oui.
Encore une fois Boileau : « J’appelle un chat un chat ».
Au reste, c’est avec les mots les plus simples que l’on écrit les plus belles choses.
Avec des riens, Racine compose « Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur ».
Avec les instruments sémantiques les plus simples, un Stendhal vous écrit la première phrase de La chartreuse de Parme, à la fois épique et familière, l’une des plus belles entrées de roman que je sache (je n’appelle pas cela un « incipit »).
Et c’est avec une grande épargne de moyens que Chateaubriand, dans Les martyrs, crée cette stance en prose magnifique, l’une des plus pures associations de mots français qu’on ait construites. Il s’agit de Jérusalem au temps de sainte Hélène, la pieuse mère de l’empereur Constantin :
« Le bois consacré à Vénus sur le mont Calvaire était abattu ; la vraie croix était retrouvée. Un homme que la présence de cette croix miraculeuse avait arraché au cercueil racontait les choses d’une autre vie dans cette Jérusalem tant de fois instruite par les morts des secrets du tombeau. »
Après cela, silence.
Pierre Bénard.
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