Candidat et recensement
Jean Pruvost, lexicologue, nous livre l’étymologie du mot « candidat » qui n’avait pas bonne presse à ses débuts et a dû redorer son blason, et celle du mot « recensement », qui n’est pas recension, l’anagramme d’encensoir !
Du candidat aux prometteuses candidatures
«Il n’est pas encore reçu dans une telle charge, il n’est que candidat». C’est ainsi que l’Académie en 1694 exemplifie le candidat défini comme celui qui aspire «à quelque degré, à quelque dignité». Et la Compagnie d’ajouter «qu’il ne se dit guère qu’en raillerie». Ainsi, le candidat n’a pas bonne presse au XVIIe siècle. À dire vrai, il ne prendra son auréole qu’au début du XVIIIe siècle, au moment où le mot commence à désigner la personne qui se présente à un examen, en l’occurrence le doctorat.
Le candidat va dès lors redorer son blason. Il bénéficie en effet d’origines brillantes puisque c’est à partir du latin candidus, c’est-à-dire de la couleur «de la neige des astres», blanc éclatant, qu’est né le candidatus. Ce dernier représentait à Rome l’homme ambitionnant une fonction publique et qui, pour bien montrer la pureté de ses intentions, portait ostensiblement une toge blanche, blanchie à la craie. Ce sont les processus électoraux du XIXe siècle qui firent du candidat un homme de haute ambition, soucieux d’être élu à des fonctions nationales et notamment, à partir de la IIIe République, à la fonction suprême. Sa candidature, mot seulement attesté en 1816, suscita immédiatement la verve des humoristes. Ainsi, en 1819, Béranger chantait-il Le ventru aux élections, en mettant en scène un candidat trop bien nourri : «Electeurs, j’ai sans nul mystère fait de bons dîners l’an passé, on met la table au ministère, renommez-moi, je suis pressé», fait-il dire effectivement au candidat !
À ce prétendant déterminé peut évidemment s’opposer le candidat hésitant. Par exemple S. Pertini, qui fut président de la République italienne, et qui déclarait : «la meilleure part de moi-même me dit de ne pas être candidat, mais comme d’habitude, c’est l’autre qui l’emportera»… Enfin, place aux cruciverbistes avec cette définition facétieuse du candidat, en 1976 : «Homme qui promet». Définition à changer au début du XXIe siècle puisque, pour les élections présidentielles, on a affaire à un homme …ou à une femme.
Du recensement à l’encensoir
Dans les Nouveaux Essais psychologiques (1885), Paul Bourget évoquait «notre âge d’universel recensement». Dix ans auparavant, Larousse signalait dans le Grand Dictionnaire universel que «le recensement est indispensable pour arriver à la juste appréciation des forces d’un État et à la répartition équitable des charges publiques» en ajoutant que, «de tous les travaux statistiques, c’est assurément celui qui a le plus d’importance». Ce que confirme Gide, qui en 1929, dénonçant les abus coloniaux au Congo, rappelle que l’impôt n’y aurait rien d’excessif si, «d’après un recensement vieux de quatre ans, ils n’avaient à payer parfois pour trois ou quatre disparus»…
Construit sur le latin censere, «déclarer solennellement» puis «déclarer la fortune de chacun», le recensement représente d’abord le fait de passer en revue, avant de désigner le dénombrement administratif dès 1798. La pratique en est cependant très ancienne, puisque c’est pour se faire inscrire au deuxième recensement ordonné par Auguste que Joseph et Marie se rendirent à Bethléem où naquit Jésus Christ. La langue hésita entre recensement et recension. Ce dernier est pourtant l’anagramme d’encensoir !
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Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.