Commerce et déficit
Si le mot commerce vient du latin, c’est qu’on a commercé, négocié, de tout temps ! Mais le commerce peut être empreint de pessimisme ou d’optimisme comme l’explique notre lexicologue Jean Pruvost. Quant à déficit, avec ou sans accent, avec un "s" ou sans, il exprime un manque plus ou moins important. Et découvrez le conseil de Léonard de Vinci.
Jean Pruvost, lexicologue, nous livre l’étymologie des mots : «commerce» et «déficit» !
Le commerce ne va plus ?
«Le commerce ne va plus. Le commerce n’est plus bon». Contre toute attente, pareils exemples, empreints d’un pessimisme de saison, ne sont pas tirés d’un dictionnaire d’aujourd’hui, mais bel et bien de notre premier Dictionnaire françois, celui de Richelet en 1680. Ainsi, pour sa première définition officielle, le commerce est-il déjà référencé sous de mauvais auspices.
La commerque, comme l’on disait au Moyen Âge, vient d’un mot composé latin construit à partir de merx, marchandise, et de cum, avec, désignant ainsi le lieu où l’on rassemblait les marchandises pour les négocier. C’est donc tout naturellement que le mot prit le sens de négoce, mais aussi dès le XVIe siècle, de fréquentation, négocier supposant en effet une relation humaine. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle, on pouvait tantôt avoir commerce agréable avec une personne d’esprit, tantôt avoir « commerce d’impudicité », avec notamment «une bonne gaillarde qui aime à se réjouir»… On avait aussi «commerce de lettres», littéraire, ce qui annonce le commerce électronique, moins poétique. En 1964, paraissait un ouvrage d’Elmer et Leterman intitulé: «La vente commence quand le client dit : Non». Il faut donc être résolument optimiste !
Déficit(s) et fissures d’un vieux mur
La première attestation du mot deficit date de 1560, en tant que pièce manquant à un inventaire, ce que confirme Furetière dans le Dictionnaire universel (1690) en rappelant que ce mot «latin et indéclinable» se «met à côté des articles d’un inventaire». Venu du latin deficere, manquer, conjugué à la troisième personne du présent de l’indicatif, deficit ne porte pas encore d’accent.
Au XXe siècle, muni d’un accent le déficit n’a pas pris une ride. Le Trésor de la langue française en offre dès 1978 les usages les plus courants : «Déficit chronique d’une entreprise, déficit de la Sécurité sociale, de la SNCF, du Trésor public». Dans un registre plus savoureux, Boulay signalait en 1961 que la production française était «nettement déficitaire en noisettes» ; «nous devons en importer», concluait-il sagement.
Manquer de noisettes ou d’idées, tel est le vrai déficit. Ainsi Bachelard rapporte que Léonard de Vinci conseillait aux peintres en déficit d’inspiration de regarder d’un œil rêveur les fissures d’un vieux mur. Assurément les fissures ne manquent pas et si, en 1905, le Petit Larousse ne tranche pas entre les déficit sans "s" ou les déficits avec un "s", aujourd’hui la marque du pluriel s’impose !
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Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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