Convoquer le ban et l’arrière-ban
Le lexicologue Jean Pruvost dévoile les mystères qui se cachent derrière les mots et expressions de notre langue. Dans cette émission il s’intéresse à un héritage de notre passé féodal : "convoquer le ban et l’arrière-ban". Il nous rappelle la multitude de mots dans lesquels on retrouve le ban : "banal", "banlieue", "forban", "bannir". Heureusemsent Jean Pruvost ne nous laisse jamais à "l’abandon"... pouvoir "s’abandonner à
« On convoquait le ban et l’arrière-ban des jeunes hommes, et la garde mobile à peine réunie, à moitié habillée et non encore armée, faisait l’exercice au camp de Chalons, armée des bâtons » déclare Verlaine dans ses Confessions rappelant combien une expression ancienne restait de pleine actualité au XIXe siècle.
Les expressions dans lesquelles on utilise deux fois le même mot ne sont pas si nombreuses, vaille que vaille, rendre coup pour coup, etc., C’est qu’il s’agit d’insister : on a affaire en l’occurrence à un grand personnage, un seigneur, rassemblant tout en le convoquant le ban et l’arrière ban.
D’où vient donc le mot ban, b a n, qu’il ne faut donc pas écrire comme le siège, b a n c ? En fait, le ban désignait au Moyen Âge le territoire d’un seigneur, un territoire soumis, et donc convoquer le ban et l’arrière ban, c’était convoquer toutes les personnes dépendant de vous et pouvant vous porter secours. On est ici dans l’univers de la féodalité, le vassal devant assistance au suzerain, et ainsi, de vassal en suzerain, lui-même vassal d’un autre suzerain (le mot suzerain vient du mot souverain) on arrive au premier des suzerains : le Roi. Alors quand le chef d’un territoire part en guerre, il convoque le ban, c’est-à-dire les premiers vassaux qui lui doivent assistance, mais aussi l’arrière ban, c’est-à-dire les vassaux de ces derniers, les arrière vassaux, et dans cette mutuelle assistance et belle allégeance, on part tous joyeusement au combat.
Si on y regarde de plus près, ce mot ancien, le ban, reste très vivant dans notre langue. Comment appelle-t-on par exemple le four ou le moulin qui appartient au seigneur et qu’il prête à tous, moyennant quelques impôts ? Le four banal, et c’est du four ou moulin banal, qu’on a tiré le sens moderne du mot banal. Est banal en effet ce qui est à tout le monde et donc sans originalité.
Comment nomme-t-on au Moyen Âge, l’espace se trouvant autour d’une ville, et soumis à sa juridiction, au ban. La banlieue, parce que cet espace se trouve à une lieue, environ 4 km, du ban. Quant à celui qu’on exclut de la juridiction, du ban, on disait qu’on le bannissait, et il devient alors un forban, for(s) voulant dire en effet « en dehors de », cet adverbe ne s’est maintenu que dans tout est perdu fors l’honneur, tout est perdu « en dehors » de l’honneur.
Le mot « ban » se cache aussi plus près de nous, quand nous sommes tout seul, sans secours, « abandonné ». En effet, à ban donné, c’est-à-dire au ban donné, donné au ban, c’était la situation de la personne laissée aux mains du seigneur, elle se trouvait alors bien seule, d’où le sens moderne du mot abandonné. On ne peut d’ailleurs s’empêcher d’évoquer un autre sens ancien du mot « abandonné » : un abandonné désignait effectivement au XVIIe siècle comme nous le signale le Trésor de la langue française, un homme débauché, et une abandonnée, une femme prostituée.
Molière fait ainsi dire à l’un de ses personnages dans l’Étourdi : « J’aime fort la beauté qui n’est pas profanée Et ne veux pas brûler pour un abandonné » ! Ce sens a disparu et si on vous dit aujourd’hui que vous êtes abandonné, vous ne le prendrez pas mal ! Mais c’est peut-être le moment de convoquer le ban et l’arrière ban de vos amis pour faire une grande fête.
Jean Pruvost
Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise et où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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