Corbeau et Caricature

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Avec Jean Pruvost, vous allez comprendre pourquoi le corbeau au noir plumage a si mauvaise presse bien qu’il ait été honoré par un empereur romain. Et désormais vous pourrez établir un rapprochement entre la caricature et la charge, sans charrier bien sûr ! Tout cela n’est que gauloiserie, comme l’explique ici notre lexicologue.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots513
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N’écoutez pas crailler le corbeau

En 1680, dans le Dictionnaire françois, Richelet livre une définition du corbeau à la fois sobre et sans appel : « Oiseau noir qui vit de charogne, qui a le bec gros et pointu ». L’essentiel est là pour qu’il ait désormais mauvaise presse. En effet, même s’il fait partie des passereaux, sa taille imposante et sa couleur associée à la mort l’éloignent semble-t-il définitivement de la sympathie que s’attirent les passereaux les plus courants, les moineaux, étymologiquement « petits moines ». Par analogie avec l’aspect replet des moines bien nourris du Moyen Âge.

Pourtant, sous le règne de Tibère, chaque matin, un corbeau dressé à prononcer quelques mots venait se poser sur la tribune et saluer par leur nom l’empereur et ses deux fils. Honteusement tué, l’oiseau eut droit à de magnifiques funérailles : il fut porté jusqu’au bûcher par deux Éthiopiens et suivi par une foule innombrable. Après quoi, le meurtrier fut mis en pièces…

Les temps ont changé, le corbeau, qui tire son nom de son cri puis d’une étymologie complexe autour du latin populaire corbellus, est assimilé au mauvais présage. Son bec crochu l’associa d’abord à la grosse pierre en saillie sur un mur et au grappin d’abordage, puis au XIXe s., de par sa couleur noire, au prêtre et sa soutane, enfin, au XXe s., il désigna l’auteur obscur de dénonciations ou de médisances anonymes.

Ainsi, entendre le corbeau croasser ou crailler – les deux se disent – n’est plus du tout de bon ton. Au point que, dans son Dictionnaire incorrect (2005), J.-Fr. Kahn se demande « si la mauvaise réputation de cet oiseau, dont le vol noir est réputé de mauvais augure, n’est pas la conséquence des nombreuses lettres anonymes qui l’ont dénoncé » !



La caricature, une gauloiserie ?

La « caricature » est gauloise. Ne « charrions » pas, diront quelques-uns en usant d’un langage familier. Mais « charrier » est aussi gaulois ! Ainsi, lorsqu’au IVe s. avant J.-C., les Gaulois pénétrèrent en Italie, ils ne manquèrent pas d’étonner avec leurs grandes voitures à quatre roues dans lesquelles ils transportaient leurs bagages. À la mode des westerns, ils s’en servaient également pour entourer leur camp, le soir venu. Aussi, les Romains retinrent le mot gaulois désignant ce type de voiture qui, revu à la mode latine, devint « carrus ». De là vint le char, la charrette, le charroi, et charroyer, charrier. Sans oublier le bas latin carricare, « charger », dans tous les sens du terme.

Dédouanons-nous un tantinet : ce sont tout de même les Italiens qui firent de « caricatura », la charge, ce dessin consistant justement à « charger » les traits, pour les rendre grotesques. Certes, on s’est dépêché de leur emprunter au XVIIIe s. et notre esprit gaulois a fait le reste. À J. Delacour de rappeler dans son Dictionnaire des mots d’esprit (1976) deux définitions adressées aux cruciverbistes : la caricature y devient « charge d’homme » et le caricaturiste, « l’homme de charges » !

Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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Consulter le Dictionnaire en ligne de l’Académie française : http://atilf.atilf.fr/academie9.htm

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