Couvre-feux et rassemblement
Si "couvre-feux" offre désormais un goût de jadis, le mot évoque encore à certains la nostalgie de la sonnerie des cloches. Quant à "rassemblement", il n’apparaît dans les dictionnaires qu’au XVIIIe siècle et notre lexicographe Jean Pruvost le met en parallèle avec regroupement et rapprochement avant de suggérer un bien joli rassemblement, celui des oiseaux dans les arbres !
Le couvre-feux et les enfants dans leur lit d’osier
« Le couvre-feux est depuis longtemps passé à l’état de simple souvenir » déclare, plein d’espoir, Pierre Larousse dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. Et de rappeler que sous ce nom, on avait désigné dès le Moyen Âge la sonnerie de cloches engageant chacun à rentrer chez soi, à éteindre les feux, tout en « invitant au sommeil », selon la jolie formule du lexicographe.
À dire vrai, au moment où l’on sonnait le couvre-feux sans avoir à le décréter, était encore présente dans les esprits l’image du « morceau de fer ou de cuivre jaune » placé « devant le feu lorsque la viande » était « à la broche », comme le signale Richelet en 1680. Sans oublier le pot dont on couvrait le feu « pour l’empêcher de se consumer ou de causer un incendie », rappelle Larousse, qui n’imaginait pas qu’un couvre-feux s’imposerait pour éteindre les feux de voiture…
Un enfant de la Lorraine et du XIXe siècle, André Theuriet, nous fait d’ailleurs rêver de jours meilleurs en évoquant les cloches sonnant « encore le couvre-feux dans certaines petites villes ! Cette musique familière clôt doucement la journée de travail, et endort les enfants dans leur lit d’osier mieux qu’une chanson de nourrice ».
Rassemblement sous le cerisier
« Rassemblement : action de rassembler ce qui est épars, séparé. Il s’applique principalement, aux troupes », est-il affirmé pour la première fois en 1798 dans la cinquième édition du Dictionnaire de l’Académie.
Aucun rassemblement n’est en effet à signaler dans nos dictionnaires du XVIIe siècle, il faut attendre la fin du XVIIIe pour que ce mot, surtout répandu dans l’armée, prenne force dans la langue courante et entre dans les colonnes du dictionnaire. Mais le rassemblement n’est pas d’emblée en odeur de sainteté : « Il se dit aussi d’un concours d’hommes. […] On a défendu tout rassemblement au-dessus de trois personnes », précise l’Académie.
Ce « concours d’hommes », entendons ce regroupement, est à dire vrai redouté par tous les pouvoirs puisqu’il peut être synonyme d’attroupement et donc de remise en cause de l’autorité. « Allons, bougonne le brigadier, pas de rassemblement, circulez ! » fait dire à l’un de ses personnages, R. Martin Du Gard. « Il n’y a rien à voir » ajoutera plus tard Coluche…
Et dans le même ordre d’idée, policier ou militaire, c’est à Claude Gagnère d’illustrer plaisamment le mot dans son Bouquin des citations (1997) : « Rassemblement : Le premier qui arrive le dernier, j’en prends un au hasard et je vous fous tous dedans. L’adjudant de service ».
Il a donc fallu attendre le XXe siècle pour que le rassemblement puisse désigner un regroupement politique, et renouer harmonieusement avec l’étymologie du mot re-assembler, du latin assimulare, mettre ensemble, construit sur similis, égal, similaire. Toutes générations confondues, si l’on s’en tient au poète Delille : « En cercle, un même attrait rassemble autour de l’âtre la vieillesse conteuse et l’enfant folâtre ».
Alors dans l’harmonie retrouvée du rassemblement, une question reste à poser : quel arbre symbolique choisir ? un pommier ? Non, déclare Pesquidoux dans son Livre de raison, en 1928, il conseille en effet de « planter des arbres fruitiers, des cerisiers surtout, grands rassembleurs d’oiseaux » !
Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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