Déclaration, et ses multiples tonalités !
La déclaration, en voilà un mot infernal ! Et de toutes les tonalités, les plus sinistres comme les plus joyeuses. On a le choix entre une déclaration télévisée, une déclaration écrite, la déclaration administrative, la déclaration officielle, de candidature, de conformité, de décès, de naissance, de grossesse, de succession, la déclaration fiscale, sous serment, de confiance, d’hostilité, de guerre, de paix, une déclaration de sinistre, d’indépendance, des droits de l’homme, et une déclaration amoureuse, la plus belle indéniablement, et c’est par celle-là que commence notre lexicologue Jean Pruvost.
Encore n’est-elle pas si simple. Bussy Rabutin, au XVIIe siècle, confrontée à Ardélise, un joli prénom oublié, le signale « Je suis au désespoir, Madame, que toutes les déclarations d’amour se ressemblent et qu’il y ait tant de différence entre les sentiments. Je sens bien que je vous aime plus que tout le monde n’a coutume d’aimer et je ne saurais vous le dire que comme tout le monde le dit. » Voilà le drame, des sentiments puissants, personnels, et des mots usés par tous, qu’il faut tenter de renouveler. Parfois la déclaration vous échappe, elle n’est pas sous contrôle, la plus célèbre est celle de Phèdre (1777) que Racine nous montrait « toute entière attachée à sa proie » : « Je le vois, je lui parle ; et mon cœur… je m’égare. Seigneur ma folle ardeur malgré moi se déclare » Pendant que dans ce Cochon de Morin, en 1882, le héros de Maupassant s’auto-congratule : « Je lui fis une vraie déclaration longue, douce, en lui pressant et lui baisant les doigts. »
Bien différente, évidemment, est la déclaration officielle, ministérielle, administrative, légale, assez proche de l’étymologie du mot, car déclarer vient du latin de et clarare, c’est-à-dire faire voir clairement, proclamer. La plus célèbre déclaration est sans doute la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, beau texte voté le 26 août 1789 par l’Assemblée nationale constituante, et qui fut placée en tête de la Constitution française de 1791. Pour la première fois le peuple entendait parler de ses droits. On ajoutera aussi la Déclaration internationale des droits de l’Homme en 1948, dans un esprit plus large. Une autre déclaration moins signalée est importante dans l’histoire de l’Eglise, c’est celle appelée Déclaration des Quatre articles, rédigée par Bossuet et adoptée en 1682, par l’assemblée extraordinaire du Clergé du royaume de France convoquée par Louis XIV, elle a en somme défini ce qu’on a appelé les « libertés de l’Église gallicane ».
La déclaration vaut bien sûr par son contenu, mais attention à sa longueur. Ainsi, le calcul a été fait, «les Dix Commandements de Dieu s’énoncent en 68 mots, la Déclaration d’indépendance américaine tient sur un feuillet, mais pour formuler l’ordonnance de la Communauté européenne sur les importations de caramels, il n’a pas fallu moins de 25 911 mots ». Le caramel est collant, c’est un fait.
En matière de brièveté, tout est dit par le lauréat 1998 du 1er concours de poésie de la RATP : « J’aurais pu pour te parler d’amour Glisser un mot dans ta boîte aux lettres J’ai préféré lancer une pierre dans ta fenêtre. Mais je n’ai pas osé mettre de papier autour. » C’est émouvant, il a peut-être brisé la glace mais cela reste un peu court, et même si Ninon de Lenclos remarquait qu’« Une femme se persuade beaucoup mieux qu’elle est aimée par ce qu’elle devine que par ce qu’on lui dit », je conseille à ce jeune homme de mettre un papier autour avec la plus belle lettre d’amour.
Jean Pruvost
Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise et où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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