Exposition : exposition, sujet trop délire !
« Expondrez »-vous cette année ? Qui comprendrait pareille formule, à l’exception de quelques historiens de la langue ? En ancien français, expondre ou espondre signifiait en effet exposer et venait en droite ligne du latin classique exponere, c’est-à-dire « mettre à la vue de quelqu’un », « présenter », « expliquer quelque chose » ou encore « mettre à la merci de quelqu’un ». Heureusement, notre lexicologue Jean Pruvost va tout nous exposer !
De fait, par assimilation au verbe poser, lui-même d’ailleurs issu du latin ponere et de même sens, ce fut le verbe exposer qui prit la place d’expondre. Pour la petite histoire, « pondre », comme une poule, vient de ce même verbe latin ponere : « pondre un œuf », c’est effectivement « poser un œuf », acte créateur s’il en est ! Faut-il en déduire qu’exposer des tableaux, des sculptures, ce serait mettre en avant ce que l’on a pondu ? D’une certaine façon, c’est étymologiquement vrai…
Dès le XIVe, le verbe exposer est attesté en français avec le sens commercial d’« étaler, exhiber des marchandises ». Et au siècle de Ronsard et Dubellay, précisément en 1565, était attesté le mot exposition, en tant que présentation de marchandises diverses. Plus tristement, au début du siècle suivant, l’exposition définira aussi l’abandon d’un enfant, en somme déposé, exposé sur le parvis d’une église ou près du guichet d’un couvent.
En vérité, avec le préfixe ex, « hors de », très présent dans de nombreux mots composés latins puis français, on prend un risque, celui de ne plus être confiné dans un intérieur rassurant, « in », mais exposé au contraire à l’extérieur, au regard de tous, plus de protection dès lors. « J’aurai exposé mon vaisseau à des avaries », lit-on dans le Voyage de La Pérouse, en 1787. Hélas pour le navigateur français, l’année suivante, c’est bien ce qui arriva puisque son bateau, l’Astrolabe, fit naufrage au moment où, revenant du Kamtchatka, il amorçait son retour vers le Sud.
Nos dictionnaires sont souvent d’excellent conseil dans les exemples choisis. Ainsi, dans le Grand Larousse de la langue française, achevé en 1978, alors qu’on chante encore çà et là les beautés du bronzage intensif, que rappelle l’auteur de l’article exposition ? « Il ne faut pas prolonger cette exposition au soleil » ! Gare à la peau brûlée en effet.
L’exposition a rapidement bénéficié de sens spécifique. On a bien des excuses par exemple de ne pas savoir ce qu’est une exposition centennale, c’est-à-dire installée tous les cent ans, par exemple celle évoquée par les frères Goncourt dans leur Journal en 1889 : « Vendredi 12 juillet. Exposition centennale. Je ne sais si ça tient à ce jour, fait pour des expositions de machines et non pour des expositions de tableaux, mais la peinture, depuis David jusqu’à Delacroix, me paraît la peinture du même peintre, une peinture bilieuse. » En réalité, si on met de côté les Expositions universelles, celle destinée à présenter les produits et les réalisations de tous les pays – chacun a ainsi en mémoire celle ayant eu lieu en 1900 au pied de la Tour Eiffel – l’exposition désigne très souvent la « présentation au public » d’œuvres d’art « pour une durée déterminée et en un certain lieu », précisent nos Larousse.
En matière d’exposition, à chacun ses goûts. Pour Gide, c’est en l’occurrence « une remarquable exposition d’estampes japonaises » qu’il signale dans son Journal, en 1934. Quant à Julien Green, c’est aussi à son Journal, en 1933, qu’il confie ses points de vue en vitupérant sans nuance les surréalistes : « À l’exposition surréaliste », déclare-t-il goguenard, on achève d’accrocher des dessins et de mettre en place d’invraisemblables choses ».
Enfin, c’est dans la correspondance de Flaubert, en 1880, qu’on trouvera un mot alors tout nouveau, le vernissage, associé à la notion d’exposition. Il s’agit en effet de cette réception privée qui précède l’ouverture au public d’une exposition de peinture où, dira encore Paul Morand en 1933 dans Londres, « des peintres à barbes blanches frottent une dernière fois leurs luisantes toiles ». On assiste plus vraiment au vernissage au sens propre aujourd’hui mais le mot est resté.
Et puisqu’on vient de citer Flaubert, laissons-lui le dernier mot extrait de son Dictionnaire des idées reçues, paru à titre posthume en 1913. Quelle définition donne-t-il effectivement des Expositions : « Sujet de délire du XIXe siècle ». Pouvait-il deviner que « délire » prendrait parfois des connotations plaisantes au XXIe siècle dans le langage « des jeunes ». « Trop délire ! l’exposition ! », s’exclame un élève enthousiaste en sortant de l’exposition d’un sculpteur local. Un parler un peu zonard qui peut certes s’exposer aux remarques bienvenues du professeur, mais sur le moment, aucun doute si le flacon était à revoir, il avait bel et bien l’ivresse de l’exposition !
Texte de Jean Pruvost.
Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.
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