Harcèlement et Sanction
Jean Pruvost, lexicologue, nous livre l’étymologie des mots « harcèlement » et « sanction ». Le premier entraînerait-il automatiquement le second ? Curieusement, le harcèlement exige une définition de plus en plus longue dans les dictionnaires ! Quant à la sanction, d’origine sacrée, et donc inviolable, elle a bien évolué elle aussi !
Le harcèlement, de la herse au relâchement
En 1967, trois lignes suffisaient aux lexicographes du premier Petit Robert pour définir le « harcèlement ». Quatre décennies plus tard, dans le bien nommé Nouveau Petit Robert 2007, dix lignes s’imposent pour cerner une réalité en pleine inflation. On y retrouve certes la guerre de harcèlement et le tir de harcèlement, conformément à l’art militaire qui n’a pas baissé la garde, mais les civils ont pris le relais avec deux nouveaux venus : le harcèlement sexuel et le harcèlement moral. Et sans doute à venir, les harcèlements politiques.
On épingle souvent les dictionnaires, fructueusement ou stérilement, mais en quarante ans d’un excellent ouvrage, le paysage lexical change et les lexicographes en sont les utiles photographes.
Si en 1967, harcèlement était suivi du verbe harceler et de la harde, la troupe de bêtes sauvages ou le lien qui attache ensemble des chiens, en 2006, se sont installés le harceleur suivi alphabétiquement et presque significativement du hard… avec son cinéma, pudiquement défini comme « pornographique très explicite » et son hardeur, acteur d’une ardeur particulière. Quant au verbe harder, attacher à la harde, signalé en 1967, il a disparu. D’aucuns l’auraient peut-être fâcheusement rattaché au hardeur.
Harceler, c’est étymologiquement herser, mais avec le sens figuré de tourmenter. Quant à la herse et ses dents d’acier, c’est un emprunt à un mot d’une langue italique, hirpus, qui désignait le loup aux dents inquiétantes de harceleur... Si l’ordre alphabétique est parfois intelligent en faisant se succéder le harceleur et le hardeur, la danse des lettres d’un mot nous laisse aussi parfois perplexes. Quel est en effet l’anagramme du harcèlement ? Pour ainsi dire son contraire : le relâchement…
Sanction : voir Saint et Casablanca
En 1680, pas de « sanction » dans le Dictionnaire françois de Richelet. Le mot redouté n’entre en effet que dans le Dictionnaire universel de Furetière (1690), avec une définition qui peut surprendre : « Constitution qui fut faite au Concile de Basle pour la réformation de l’Église […]. On l’appelloit Pragmatique sanction. » Ce que confirme la première édition du Dictionnaire de l’Académie (1694), dans lequel on bute sur un renvoi déconcertant : « Sanction : voir Saint ». C’est en effet à l’ombre du saint que la sanction y est définie en tant que « Constitution, règlements sur les matières Ecclésiastiques. Il ne se dit guère qu’avec le mot de pragmatique. » Diable ! Mauvais départ pour ce mot aujourd’hui si répandu.
En vérité, sanction est issu du verbe latin sancire, dérivé de la racine sanct et désignant le fait de rendre sacré donc inviolable. La sanction représente ainsi au Moyen Âge un règlement ecclésiastique et donc l’approbation d’une règle, gare ensuite aux contrevenants.
L’Académie renchérit en 1798 avec l’exemple révélateur choisi pour la sanction : « Ce mot n’a pas reçu sa sanction de l’usage », un usage qui fixe la norme à ne pas enfreindre. Au XIXe siècle, dans le sillage des philosophes, P. Larousse fait état de la sanction naturelle, de la sanction légale, de la sanction de l’opinion et de la sanction intérieure…
Au trésor de la langue française d’intégrer en 1994 le vote-sanction : un supplément intégrerait sans nul doute les sanctions internationales. Saint-Exupéry en aurait-il été la première victime ? Ainsi, à 2000 km de Casablanca, il recevait ce message sans concession : « Monsieur de Saint-Exupéry, je me vois obligé - demander pour vous - sanction à Paris - vous avez viré trop près des hangars, au départ de Casablanca ».
Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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