Quelle grève ?
C’est en suivant la piste propre à nous faire retrouver une place célèbre, où il ne faisait pas bon être amené, que l’on retrouve le mot, grève, avec la place de Grève située devant l’Hôtel de ville de Paris.
Sous la Révolution, mais pas seulement, on y dressa en effet la guillotine avec son sinistre couperet, la veuve comme on la surnomme en argot. Tantôt à l’ombre sinistre de la guillotine, tantôt à l’heure des grands rassemblements populaires, « la Place de Grève vit se dérouler » déclare Pierre Larousse à la fin du XIXe siècle, « les scènes les plus sombres et les pages les plus grandioses de la Révolution française ».
Cette place tirait en effet son nom, aujourd’hui disparu mais resté dans les mémoires, de sa situation particulière au bord de la Seine. Elle donnait en pente douce sur une grève, c’est-à-dire selon la jolie formule du Nouveau Littré, un « terrain uni et sablonneux le long de la mer ou d’une grande rivière ».
Le mot « grève » est de fait issu du latin populaire « grava » désignant le gravier, mot de même racine d’ailleurs. Ainsi pouvait-on se promener sur les grèves correspondant aux berges de la Seine, la plus agréable et la plus centrale étant celle située au niveau de l’Hôtel de ville. La place de Grève, lira-t-on dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, « était anciennement un grand terrain, inutile, sur lequel la rivière jetait quantité de gravier, d’où lui vient sans doute le nom qu’elle porte ».
Des bords de l'eau à l'arrêt du travail
Mais comment diable ce mot qui désignait une configuration géographique particulière, a-t-il pu alors être synonyme d’arrêt collectif et volontaire du travail en signe de mécontentement et de revendication ?
Il suffit tout d’abord de se reporter à des expressions encore vivaces, telles que « faire le bord de la mer », « faire la plage », c’est-à-dire s’y promener comme on « fait les boulevards ». Les ouvriers sans travail aimaient à s’y réunir et « faisaient » donc volontiers la grève, discutant entre eux.
Et du même coup, ceux qui souhaitaient être embauchés, venaient « faire la grève », ils se « mettaient en grève » et ces formules n’avaient pas encore le sens qu’elles ont acquis aujourd’hui.
Cependant, à la fermeture brutale d’un grand atelier correspondait alors la « mise en grève » de tout un groupe d’ouvriers ensemble. La contestation ne pouvait qu’y naître. Et commença une nouvelle forme d’action, se « mettre en grève » volontairement pour obtenir notamment une augmentation.
La grève dure plus ou moins longtemps, elle est couronnée de succès ou elle échoue. On apprécie l’humour de Bernard C. Galey qui dans ce joli livre, LÉtymo-jolie rappelle qu’en cas d’insuccès, les grévistes se retrouvent « sur le sable », une manière de revenir au point de départ étymologique ! À cet égard, on ne pourrait mieux dire que Raoul Lambert dans le Dicodingue de 1997 qui définit ainsi la grève : « Arrêt de travail en bordure de mer »…
Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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