Récidive et acquittement
Le « récidiviste » est tardif, en tout cas en tant que mot. Il n’entre en effet que dans la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française, en 1878. Sa première entrée dans un dictionnaire ne semble dater que de 1845, chez Bescherelle, avec d’emblée son sens pénal.
_ Du récidiviste… et des véridicités
« Il est des deux genres », précisera l’Académie. Cependant, avouons-le, « la » récidiviste ne se rencontre guère. Il semble bien que ce soit le triste privilège de l’homme, et notamment du violeur. Au cours des siècles précédents, on n’était pas récidiviste mais dans la « récidive », ou encore au XVIe siècle, on ne devait pas « réeschoir ». En fait, c’est au latin recidere, proprement retomber, que remonte la récidive. Attention, récidive n’est pas rechute, la première désigne la réapparition d’une maladie guérie, pendant que la seconde est la reprise d’une maladie qui était en voie de guérison.
Evoquer le mot récidive, c’est forcément se souvenir de Molière et des Femmes savantes. Rappelez-vous Martine, «la servante de cuisine», s’exclamant «…Tous vos biaux dictons ne servent pas de rien», agacée qu’elle est par le jargon de la maîtresse de maison, Philaminte. Et la belle-sœur de Philaminte de s’insurger alors en femme savante contre ce français «de cuisine», comme on le qualifiait alors : « Ô cervelle indocile ! Faut-il qu’avec les soins qu’on prend incessamment, on ne te puisse apprendre à parler congrûment ! Des pas mis avec rien tu fais la récidive. Et c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative ». C’est ainsi que, sur le mode plaisant, et en ayant de la sympathie pour Martine, bien des élèves ont rencontré pour la première fois le mot récidive.
Au fait, peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi associer dans notre titre les mots récidiviste et véridicités. Les joueurs de scrabble ont déjà trouvé : ce sont les mêmes lettres mais dans un ordre différent. Et l’anagramme est bien sûr troublant au moment où se pose la question de la véridicité du repentir des récidivistes.
L’acquittement, un mot récent et utile…
Retrouver la quiétude, tel est le sens profond de l’acquittement. Du latin quietus, tranquille, sont en effet nés l’adjectif «quiet», paisible, et sa déformation «coi», désignant le fait de rester silencieux mais aussi stupéfait au point de rester sans parole. C’est sur l’idée de tranquillité retrouvée, en passant par le latin médiéval quitus, que naquirent au XIe siècle la formule «être quitte d’une obligation», c’est-à-dire en être libéré, et le verbe «acquitter», en somme redonner la sérénité.
Quant au mot acquittement, Féraud déclare en 1788 dans son Dictionnaire critique qu’il n’est pas « encore universellement adopté », et d’ajouter : «Il serait utile, je crois qu’il passera». Il entrera en effet dans la 6e édition du Dictionnaire de l’Académie (1835) et, en 1856, Maurice Lachâtre, auteur du Dictionnaire universel, précisera que, dans « la plupart des dictionnaires », sont à tort confondus l’acquittement, la déclaration de non culpabilité, et l’absolution, la faute non punie.
«Mais, ajoute-t-il, aujourd’hui, après les réformes qui ont eu lieu, il n’est pas permis de se servir du mot absolution pour désigner ce qu’on appelle acquittement. Ainsi, il y a lieu à acquittement quand l’accusé est déclaré non coupable par le jury. Il y a lieu au contraire à absolution quand le fait dont l’accusé est déclaré coupable n’est pas défendu et puni par une loi pénale.»
La France est en tout cas restée coite, pour reprendre un mot de la famille de quietus, en découvrant par exemple au moment du procès d’Outreau que des innocents étaient accusés de ce qu’il y a de pire. Ce qui nous a entraînés à méditer le propos paradoxal de Bossuet : « Le juste paie ce qu’il ne doit pas et acquitte les pêcheurs de ce qu’ils doivent. »
Et puisqu’on ne déteste pas les anagrammes, quelle est l’anagramme d’acquitté ? Tactique. A dire vrai, la pire des tactiques pour être acquitté serait celle évoquée par Montaigne : « La mort, déclare-t-il en effet avec malice et cynisme, nous acquitte de toutes nos obligations » !
Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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