René de Obaldia : Le mot que je préfère ? Onirique !
Dans l’intimité du studio de Canal Académie, René de Obaldia, de l’Académie française, s’entretient avec Elizabeth Antébi sur deux mots qui émaillent son oeuvre mais qui n’en font qu’un : rêve et onirique
Les écrivains ont parfois des mots fétiches qu'ils éparpillent dans leur œuvre, comme des balises, des repères qui font se dire au lecteur, "ah, je suis bien en sa compagnie..." René de Obaldia ne fait pas exception ; ainsi, les mots rêve et onirique reviennent souvent dans son oeuvre comme le fait remarquer Elizabeth Antébi. «Le rêve est-il pour vous la réalité ?» demande-t-elle à l'écrivain, qui avoue ne pas savoir ce qu'est la réalité. «Nous vivons dans des représentations mentales comme disent les Hindous , dans l'illusion.»
Si le rêve est si présent chez René de Obaldia, c'est parce que pour lui «la réalité est un univers très vaste qui nous échappe complètement.» L' académicien confie qu'avec l'âge, il a l'impression de comprendre ce que voulait dire Caldéron quand il titrait l'une de ses pièces de théâtre "La vie est un songe".
«Et le cauchemar existe-t-il ?» René de Obaldia préfère n'en point parler mais plutôt évoquer «le sens tragique de la vie», reprenant ainsi le titre de l’œuvre philosophique de Miguel de Unamuno.
Découvrez plus bas les extraits de textes de celui que Jean Vilar avec Genousie avait le premier intronisé « poète onirique »
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THEATRE
Génousie (« comédie onirique »), Grasset, 2005 (première édition : 1960)
Premier acte, scène IV
IRENE, CHRISTIAN, LE CADAVRE
CHRISTIAN, tout près d’Irène. – Irène !
IRENE, souriante, et sur un mode ironique. – Mon assassin joli !... Mon poignard aux yeux bleus ! Voilà qu’on profite de mon absence pour tuer ses rivaux !... Mais c’est vilain, très vilain ! (Lui prenant les mains.) De si belles mains tachées de sang… Attention, c’est contagieux : lorsqu’on commence à tuer un homme, il n’y a aucune raison de ne pas tuer les autres… Vous voilà à la tête d’une entreprise considérable !... (Christian retire ses mains d’un mouvement brusque.) Mais voyez ce visage dur, tout à coup, ce volcan ! cette petite boule de feu dans le regard qui va éclater comme la foudre !... J’ai peur !... (Se reculant.) Je vais crier au secours !... Seigneur, vite que la cloche se mette à sonner !...
CHRISTIAN. – Je… je… (Voilà que Christian ne peut plus s’exprimer qu’en genousien.) Jabromite aussevienne, da… dastok vrichouspar… (Criant.) Vrichouspar !
IRENE. – Allons, il ne faut vous mettre dans un état pareil !
CHRISTIAN, avec dureté. – Praxite orégor brakim.
IRENE. – Vous ne pouvez pas parler français ?
CHRISTIAN. – Easkoïa rikovik.
IRENE. – Je vous en prie, faites un effort, un petit effort..
CHRISTIAN, désignant le cadavre. – Perdure ep trikoum, évoïne totéram… (Accablé.) Evoïne totéram !
IRENE. – Cet objet vous inquiète ?... Voyons, ne vous tourmentez pas ainsi, pour un péché de jeunesse… Ces sortes de choses peuvent arriver à chacun de nous ; il suffit d’une distraction, d’un geste plus haut qu’un autre… D’ailleurs, aucun mort n’est irrémédiable, si vous tenez vraiment à rappeler Philippe à la vie… Sa mémoire est excellente… (Se penchant sur le cadavre et appelant) Philippe !... Philippe !... Philippe, je te parle !...
CHRISTIAN. – Marapalame ostor aïdakino, ma…
IRENE. – Il est vraiment atteint de déformation professionnelle !... Allons, Philippe, lève-toi, cesse un peu ton manège. Tu n’es vraiment pas drôle !
HASSINGOR, se redressant sous l’œil effaré de Christian, et bâillant. – Si tu savais comme c’est agréable de faire le cadavre !... Reposant. Très exactement : reposant. On ne pense à rien, on…
CHRISTIAN, d’une voix étouffée. – Noye ! Noye !
IRENE. – Tu as besoin d’un bon coup de brosse !
HASSINGOR, tapant sur ses vêtements. – Memento, homo, quia pulvis es et in pulverem reverteris !... Tout de même, jeune homme, ne trouvez-vous pas un peu facile la scène du revolver ? Oh ! certes, j’ai admiré votre ton : mon grand-père était Mexicain, par contre, ma grand-mère était violoniste !
CHRISTIAN. – Noye ! Noye assévar ! Daskri époustène drovik.
HASSINGOR. – Qu’est-ce qu’il raconte ? En voilà un charabia !
IRENE. – Ce doit être du genousien, sois poli avec lui, Philippe !
HASSINGOR. – Curieuse langue ! Je préfère le kurde, ou même…
IRENE. – Chéri, veux-tu aller à la voiture ? Tu trouveras ma boîte de cachets à l’intérieur, près de la carte. J’ai légèrement mal à la tête.
HASSINGOR. – Ma petite colombe a mal à la tête ! Ma petite colombe a un gros caillou dans sa cervelle en or de petite colombe !
IRENE. – Dépêche-toi je t’en prie, la cloche va sonner.
HASSINGOR. – Bien… bien… je me hâââte… je me hâââte… (Faisant une large révérence avec son chapeau de forme.) Salutations distinguées… (Il sort.)
POESIE
« Le secret »
Sur le chemin près du bois
J’ai trouvé tout un trésor
une coquille de noix
Une sauterelle en or
Un arc en ciel qu’était mort.
A personne je n’ai rien dit
Dans ma main je les ai pris
Et je l’ai tenue fermée
Fermée jusqu’à l’étrangler
Du lundi au samedi.
Le dimanche l’ai rouverte
mais il n’y avait plus rien
Et j’ai raconté au chien
Couché dans sa niche verte
Comme j’avais du chagrin.
Il m’a dit dans aboyer :
« Cette nuit, tu vas rêver. »
La nuit, il faisait si noir
Que j’ai cru à une histoire
Et que tout était perdu.
« Cherche un homme qui n’existe pas »
Cherche un homme qui n'existe pas
Beau
Mais pas trop.
Doux et rude
Paillard bien que prude
religieux et mécréant
Peau de vache et bon enfant
Fleurant le soufre et la lavande
Végétarien aimant la viande.
Voyageur et casanier
Désinvolte et cavalier:
A toutes les heures qui sonnent
S'occupant de ma personne
Aux grands et petits soins
Surtout quand j'ai le rhume des foins.
Me procurant belle aisance
Sans éprouver de repentance
Point jaloux de mes soupirants
Allons plus loin: de mes amants
Tant il bénit mon existence!
Faisant semblant d'être ailleurs
Quand il m'attend chez le coiffeur.
M'amenant toujours au théâtre
Quand c'est Antoine et Cléopâtre.
Toujours chic, même débraillé
Même complètement déshabillé
Froid
Comme saint Eloi
Chaud
Quand il le faut
Prônant le pour et son contraire
Trois mailles à l'endroit trois mailles à l'envers
N'importe quoi pour me plaire.
Bon. De ce pas
Je vais aller me promener au Bois
Si quelquefois...quelquefois
Je rencontre un homme qui n'existe pas.
« Cherche un homme qui n’existe pas », dans Fantasmes de demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l’âme sœur, Grasset, 2006, p. 99-100.
Les comédiens Simon Hardouin et Caroline Stefanucci, actuellement à l'affiche de L'oeuf la pièce de Félicien Marceau, jouée au théâtre l'Aktéon, ont réalisé les lectures des textes de René de Obaldia. Clément Moutiez a également prêté sa voix.
En savoir plus:
- Consulter la fiche de René de Obaldia sur le site de l'Académie française
- Écoutez les autres émissions avec René de Obaldia sur Canal Académie.
- Et jusqu'au 22 octobre 2011 le spectacle Fantasmes de demoiselles est à l'affiche du théâtre 14. Spectacle avec Manon Landowski.