La gauche et le tournevis
Rien de plus simple et de plus indispensable qu’un tournevis dans une maison. Qui en fabrique encore chez nous ? Il existait une entreprise française spécialisée en outillage, Facom, qui avait une petite filiale aux États-Unis. Lorsque la gauche revint aux affaires en 1997, le tournevis Facom avait un coût de revient équivalent, qu’il fût produit en France ou aux États-Unis. Mais après que Lionel Jospin eut instauré les 35 heures et la loi de modernisation sociale, nos prix de revient industriels bondirent. A parité monétaire égale, le tournevis qui revenait à 100 au début du gouvernement Jospin coûtait 120 à la fin, tandis qu’aux États-Unis c’était l’inverse, il avait baissé à 80. Le grand concurrent américain de Facom, Stanley, pouvait donc vendre ses outils sur le marché français à des prix inférieurs de 41%.
Que s’est-il passé ? Tandis que la différence de prix condamnait Facom, la Chine adhérait à l’OMC ce qui ouvrait nos marchés à l’invasion de ses produits. Facom perdait de l’argent et des parts de marché ; en 2005, son concurrent américain racheta l’affaire et ferma ses usines françaises.
Cette histoire est racontée dans la Revue des Deux Mondes de juillet, par Marc Ladreit de Lacharrière, président de l’agence de notation Fitch Ratings, pour illustrer les conséquences des sottises politiques.
La France est à l’image de Facom : ses coûts de revient sont trop chers par rapport à la concurrence ; elle perd des parts de marché et accumule des pertes (déficits budgétaires, sociaux, commerciaux). Le patron de Saint Gobain, Pierre-André de Chalendar le souligne aussi (Le Figaro du 25 juin) : la détérioration de notre commerce extérieur est « très largement imputable à l’évolution du coût du travail – en une décennie nous avons connu une divergence de 15 points avec l’Allemagne… » Selon l’institut Rexecode, les Français travaillent six semaines de moins que les Allemands et les données Eurostat confirment que le coût horaire de la main-d’œuvre a été de 34,20 euros en France en 2011 contre 30,10 en Allemagne.
Compétitivité ! La gauche du « redressement productif » peut-elle admettre ce que la « gauche plurielle » n’avait pas compris – qu’il faille travailler plus et non pas moins, qu’il faille dépenser moins et non pas plus ? Elle a commencé par faire le contraire. Mais la réalité va vite lui imposer son tour de vis.
Le texte de cette chronique est paru dans Le Figaro Magazine du samedi 30 juin 2012. Elle est reprise ici par son auteur, avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire. Les propos de François d’Orcival n’engagent que lui-même, et non pas l’académie à laquelle il appartient ni l’Institut de France.
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