Billet d’Asie : Un héros en Chine, un metteur en scène vietnamien et deux films japonais
Avec une industrie cinématographique florissante, il n’est pas étonnant que l’Asie soit mise à l’honneur dans ce billet proposé par Françoise Thibaut, dédié au 7e art. Au sommaire : John Rabe, le Juste de Nankin par Florian Gallenberger et La Ballade de l’Impossible par Tran Anh Hung. Sans oublier, bien entendu, en cette 64èmesaison du Festival de Cannes, les films japonais sélectionnés.
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Un film plutôt confidentiel, sorti en avril 2011 à Paris, mais pour lequel le « bouche à oreille » a bien fonctionné : John Rabe, le juste de Nankin de Florian Gallenberger.
La guerre mondiale pour les Chinois a en fait commencé en 1931 avec le « mémoire Tanaka » et l’invasion de la Mandchourie érigée en Manchoukouo avec Pou Yi (le dernier empereur de Chine) en souverain fantôme, pour se terminer, non en 1945, mais en 1949 au terme de 4 ans d’une guerre civile épouvantable close par la République Populaire. Entre les deux, une occupation japonaise, partielle certes mais d’une cruauté sans égale. Le film de Florian Gallenberger nous compte un des épisodes parmi les plus barbares de cette occupation : le sac de Nankin par l’armée nippone en décembre 1937.
A cette époque, John Rabe, installé en Chine depuis « 27 ans et 142 jours », dirige à Nankin, ancienne capitale symbolique au bord du Yang Tsé, une puissante usine Siemens qui fournit l’électricité à toute la région et dirige la construction de barrages. Allemand, puissant, autoritaire, inscrit au Parti nazi, il est conscient de son pouvoir, aime la Chine, mais est rappelé par le Reich en Allemagne avec regret. Shanghai vient de tomber aux mains de l’armée japonaise. Le bombardement de Nankin commence. Dans la panique la plus totale, avec les diplomates britanniques, quelques attachés consulaires, une institutrice française, il organisera une « zone refuge » sans militaire, qui sauvera près de 200 000 personnes.
Le film (dont la bande originale a été composée par Laurent Petitgirard, de l'Académie des beaux-arts) retrace cette odyssée intérieure, équivalente des 55 jours de Pékin, dans une version moderne. Ulrich Tukur campe un John Rabe plein de vérité, d’humanité, conscient de sa propre fragilité, très au delà des clivages politiques ; Steve Buscemi (plutôt habitué des westerns ou des Clint Eastwood) un chirurgien étonnant, pathétique et grandiose dans ses fureurs. Moins subtilement pervers que Lust Caution de Ang Lee avec Tony Leung, moins romancé que Les orphelins de Huang Shi de Roger Spottiswoode (retraçant la véritable histoire du journaliste anglais George Hogg qui sauva dans les mêmes conditions les enfants d‘un orphelinat chinois en les emmenant aux portes du désert de Gobi) avec J. Rhys-Meyer et Chow Yun-Fat, John Rabe, le Juste de Nankin retrace avec fidélité ce terrible moment d’histoire, appuyé sur le Journal que John Rabe tint durant ces semaines implacables. Le film mélange habilement films d’archives et images modernes, nous plonge dans les contradictions terribles de la diplomatie de guerre et de la volonté de conquête. C’est souvent bouleversant, voire révoltant.
Il y a des chances pour que John Rabe le Juste de Nankin s’échappe des grands écrans assez rapidement ; mais ne le ratez pas lorsqu’il reparaîtra en DVD ou sur une chaîne TV.
Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que 300 000 habitants de Nankin furent exterminés malgré l’héroïque sauvetage de John Rabe. Rentré en Allemagne, il participa tout de même à l’effort de guerre du Reich (malgré, semble-t-il, ses convictions personnelles). En 1945 les Alliés le traitèrent en nazi ; ruiné, il eut une fin de vie modeste et mourut oublié en 1957. La République Fédérale ne lui a rendu hommage qu’en 2003 ; surnommé « le Schindler de la Chine », un monument à sa mémoire est érigé et ne cesse jamais d’être fleuri à Nankin.
Dans un tout autre registre, plongeons dans un passé plus récent, une introspection des années 1960, moment laborieux d’une certaine libération des mœurs dans les villes japonaises : s’inspirant d’un beau récit de Haruki Murakami, le très doué Tran Anh Hung (l’auteur vietnamien de L’odeur de la papaye verte), nous offre cette Ballade de l’Impossible, romantique, triste mais jubilatoire, pleine de réserve mais provocatrice : en pleine révolte étudiante, deux inséparables amis, et la petite amie de l’un deux. Ce dernier se suicide ; son camarade ne s’en console pas, rencontre par hasard la jeune fille, en fait sa maîtresse ; celle-ci disparaît à son tour, sans laisser d’adresse. Le désir et la culpabilité hantent notre héros, le souvenir et la nécessité d’avancer, d’oublier, cohabitent. L’astuce est d’avoir rythmé le récit avec le si romantique Norvegian Wood des Beatles. On fond, on y va de sa larme, de son grand cœur blessé. Les images sont subtiles, le montage mouvant, fluide : on pense à Kim Ki-Duk, chef de fil du cinéma coréen, ses films presque muets, à ses jeunes Locataires ou à l’hiver de Printemps, été, automne, hiver…
Tran Anh Hung produit peu, avoue mettre très longtemps à concevoir et fabriquer un récit. Mais il mérite qu’on l’attende, qu’on lui murmure « c’est très beau, continuez, on vous attend »… car on ne peut que murmurer tant l’équilibre du bonheur est fragile.
La sélection officielle du 64ème Festival de Cannes (mai 2011) propose 2 films japonais : l’un de Takashi Milke, ce cinéaste très déroutant pour la première fois à Cannes avec un long métrage en 3D Ichimei, film de sabre contant la mort d’un samouraï ; l’autre, de Naomi Kawase, Hanesu no Tsuki est historique, se passe au VIème siècle, en armures et kimonos de soie. Le très américain président du jury, Robert de Niro, (Taxi driver, Racing Bull, Casino, Heat )se laissera-t-il séduire par toutes ces japonaiseries ?
Texte de Françoise Thibaut
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