Billet d’Australie : La passion pour chats et chiens, un héritage britannique
Les Australiens cultivent avec passion l’art d’être maîtres de chats et de chiens ! Découvrez comment ces animaux de compagnie sont aujourd’hui vénérés, adulés, héros de télévision et source d’un commerce florissant... Et dans l’Histoire de la découverte du continent australien, le matou de Matthew Flinders reste une véritable célébrité tandis que le toutou TallyHo, grand pérégrinateur, est désormais statufié !
Les anglo-saxons ont fait beaucoup de sottises avec la faune d’Australie, dévastant ou laissant dévaster presque entièrement un certain nombre d’espèces autochtones. Mais ils ont apporté dans l’ile-continent cette manie bien britannique de l’animal de compagnie, chien ou chat, et cela ne date pas d’hier ! Le chat de Richard Whittington, Lord-Maire de Londres à 3 reprises à partir de 1398, était presque plus célèbre que son maître…
De nos jours, les Australiens cultivent avec passion l’art d’être maîtres de chiens et de chats. Concours d’agility et d’élégance canine pullulent chaque week-end, de même que les expositions félines ; les magasins de matériel pour « pets » florissant de jouets, vêtements, lunettes... , ainsi qu’un éventail stupéfiant de croquettes et nourritures diverses. Les différentes chaînes de télévision australienne produisent plusieurs feuilletons narrant des aventures félines et canines et diffusent multiples émissions consacrées aux animaux de compagnie. Un des feuilletons les plus appréciés est celui consacré à un vétérinaire de Bondy Beach (plage bien connue de Sydney), très bel homme au demeurant, qui non content de surfer sur les vagues entre deux opérations et de séduire toutes les filles qu’il croise, sauve régulièrement, dans des péripéties rocambolesques, tous les chiens et chats de l’Etat de Nouvelle Galle du Sud…
Au delà de cette actualité poilue, un chat et un chien sont particulièrement vénérés en Australie : le chat Trim et le chien TallyHo…
- Trim était le chat de Matthews Flinders, lequel, engagé à 15 ans, en 1789, dans la Royal Navy, fut un des principaux découvreurs de l’Australie : sa première navigation eut lieu sous les ordres du fameux capitaine Bligh (celui du Bounty) pour son second voyage à Tahiti. Il combattit les français sur le Bellerophon, puis embarqua en 1795 pour l’Australie où une colonie britannique était installée depuis 7 ans. C’est lors de cette traversée qu’il rencontra le chat Trim, lui aussi embarqué au service de son royal souverain, pour chasser les rats à bord.
Flinders et son ami le médecin George Bass, accomplirent dans des conditions périlleuses, toute la série d’explorations des côtes ouest et sud-ouest de l’Australie, et établirent que la Tasmanie était une île, séparée de l’Australie par un étroit détroit qu’ils nommèrent « détroit de Bass », permettant de raccourcir d’une semaine entière le voyage maritime vers la Grande Bretagne. Flinders, accompagné de l’infatigable Trim pratiqua toutes sortes d’explorations, de relevés géographiques, de répertoires de plantes, cours d’eau, plaines et collines… Un nombre incalculable de lieux australiens, de rues, d’avenues et d’esplanades, portent le nom de « Flinders ». A la tête d’une expédition de trois navires, en 1801, et en dix-huit mois, Flinders acheva le relevé complet des côtes australiennes, ce qui lui ouvrit les portes de la Royal Academy et lui valut la protection et l’amitié du botaniste Sir Joseph Banks.
Trim resta huit années avec Flinders : il fut de toutes ses expéditions, de tous ses voyages, il alla avec lui chercher des secours à Sydney lors d’un échouage près du Cap York, fit naufrage avec lui en 1803, les griffes plantées sur l’épaule de son maître… Lors d’un retour vers l’Angleterre, le vieux Cumberland fait eau dans l’Océan Indien et oblige Flinders à gagner la terre la plus proche, l’Ile de France, aujourd’hui Ile Maurice. Le gouverneur français, le général Decaen, soupçonneux ( l’Europe est en guerre ) accuse Flinders d’espionnage et le retient sept longues années prisonnier avec son équipage; Trim, fidèle compagnon d’infortune, disparaîtra lors de cette réclusion. Tout Maurice cherchera Trim pendant des semaines, sans succès, au grand chagrin de Flinders.
Ce dernier, profita de ce long isolement pour rédiger nombre de travaux scientifiques, mettre au propre ses relevés et fignoler le dispositif qui porte son nom « les barreaux de Flinders », destinés à compenser partiellement les déviations du compas magnétique, améliorer le baromètre, écrire un manuel de navigation et un autre de trigonométrie sphérique… Il enseigne les sciences, crée une plantation, fait de la musique, apprend le français, le malais, et rédige son fameux Voyage to terra Australia, premier véritable « reportage » sur l’ile-continent. Enfin libéré, rentré à Londres en 1810, il est accueilli comme un héros, et surtout comme un très grand scientifique, reçu et honoré par le Prince de Galles. Il meurt cependant quatre années plus tard en 1814, à 40 ans, sans avoir adopté un nouveau chat.
Dans les archives très sérieuses de Matthews Flinders, ses travaux scientifiques d’une rigueur toute académique, on a retrouvé un petit opuscule L’Eloge de Trim racontant la vie de ce matou astucieux et zélé. On y découvre un Flinders tendre, amusé et amusant, décrivant les tours et manigances de Trim, son courage, et sa fidélité. Ce texte charmant, publié seulement en 1973, révèle aussi l’affection que Flinders portait à son équipage, raconte la vie de bord, les aléas de la navigation, le scintillement des étoiles et la traîtrise des tempêtes, dans la veine des essais anglais du 18ème siècle.
En 1996, une statue de Trim a été érigée sur Macquarie Street à Sydney, aux côtés de celle de son maître l’illustre Matthews Flinders, parfait fils des Lumières. Une plaque rappelle leur commune circumnavigation de 1801-1803 et porte les premiers vers de l’épitaphe rédigée par son maître. A la mémoire de Trim, le meilleur et le plus illustre de sa race, le plus affectionné des amis, le meilleur des serviteurs, la plus merveilleuse des créatures… Paix à son ombre, honneur à sa mémoire…
- Le chien TallyHo est lui, tout à fait contemporain. Né en 1970, croisé de dingo et de terrier, surnommé Red par ses amis humains, il est, d’après ceux qui le connurent, le chien le plus remarquable que la terre eut jamais porté. Astucieux, débrouillard, totalement libre, Tally parcourut tout l’Ouest, de Dampier à Tom Price, de Roebourne à Paraburdoo, allant jusqu’à Perth au sud, à Bröme au nord et même jusqu’à la belle Adélaïde. Sa technique était simple: il trottait d’un bon pas le long des routes, puis lorsqu’il était fatigué, se plantait sur la route devant les voitures amies qu’il reconnaissait, les cars scolaires, les bus longue distances et les camions de minerais.
Il prenait parfois aussi le train, un de ces lourds convois des mines à ciel ouvert de l’Etat du Pilbarra. On le nourrissait volontiers, les shérifs le connaissaient, l’abritaient parfois lorsqu’il était en difficulté ou blessé. Pendant la saison sèche, il s’installait dans une ferme quelques mois, reprenait des forces et se laissait dorloter contre une aide à la surveillance des troupeaux ou des poulaillers. En ville, il adorait se réfugier dans les Malls commerciaux climatisés où il poussait de merveilleux roupillons.
En fait, les humains qui le connurent bien, comprirent assez vite que ces inlassables pérégrinations étaient destinées à retrouver son maître, disparu brusquement dans un accident de moto au sortir d’un soirée trop arrosée. TallyHo fut sans doute inconsolable de cet involontaire abandon.
De nature joviale, il eut de nombreux protecteurs, des amis chiens et chats, et sans doute une descendance nombreuse. Il mourut sottement en ayant ingéré une boulette empoisonnée qui ne lui était pas destinée, en novembre 1979. Il n’avait que 8 ans mais il avait eu une vie épuisante, parcourant tout l’Ouest à la recherche de son maître perdu. Il s’était battu, mangeait tantôt trop tantôt pas assez, s’était fait tirer dessus, était tombé des pick-up et des camions, s’était gelé la nuit dans le désert où il avait rôti le jour. Vieilli prématurément, il se laissa aller, malgré les soins prodigués, à la douce béatitude du sommeil éternel.
Les pionniers du Pilbarra ne l’ont jamais oublié et lui ont érigé à Dampier une statue de bronze, qui porte l’inscription de l’envers de sa plaque d’identité « je suis allé partout ».
Texte de Françoise Thibaut
En savoir plus :
** L’éloge de Trim est publié en français dans un délicieux petit livre chats des bords de mer au Chasse-Marée; et l’œuvre originale de Matthews Flinders A Biographical Tribute to the Mémory of Trim a été publié à Sydney en 1998 par Angus et Robertson.
** L’histoire de TallyHo a été romancée par Louis de Bernière (l’auteur bien connu de La mandoline du capitaine Corelli) en 2001, sous le titre Red dog, traduit en français pour le Mercure de France la même année sous le titre Le Rouquin.