Le temps, c’est de l’argent ! Est-ce toujours vrai ? La valeur du temps en question
Le XXI è siècle vient de s’ouvrir avec une succession de crises économiques et financières qui ont fait ressurgir de « grandes peurs » et rouvrir des blessures qui s’expriment à travers des mouvements sociaux assez nouveaux, sous formes de « printemps et autres révolutions de jasmin » qui fleurissent partout dans le monde.
Le temps des remises en cause semble être venu tant pour l’organisation du monde que pour sa gouvernance, mais c'est aussi celui de nouvelles interrogations sur les questions essentielles que se posent les Hommes, tout au long de leur existence terrestre : Le sens de la vie et du travail, celui du bonheur... Faut-il préférer le B.N.B : le bonheur national brut si cher au petit royaume du Bhoutan, au P.I.B, érigé en dogme dans les pays dits avancés ?
La Liberté et la Démocratie sont-elles des valeurs universelles, faut-il accepter de mourir pour les défendre ?
Mais une autre question taraude nos intellectuels, les philosophes mais pas seulement, c'est celle du rapport au temps, à sa valeur en quelque sorte...
Quid de cette nouvelle forme de dictature, celle de l’urgence, s’interroge Gilles Finchelstein sous ce titre de son remarquable ouvrage paru chez Fayard ? (La dictature de l’urgence). Mais les économistes ne sont pas en reste : tour à tour, Hubert RODARIE, (Dettes et monnaie de singe chez Salvator) et André ORLEAN (L’empire de la valeur au seuil ) deux brillants auteurs nommés pour le 25ème prix TURGOT, contestent :
«Cette forme d’éradication du temps par l’adhésion à la croyance d'une identité parfaite entre le « prix de marché » et la valeur objective des biens et autres actifs.» Cette croyance en effet, censée traduire par ce prix de marché « dans le présent et de façon instantanée », les Etats futurs de tout ce qui fait l'objet de transactions, a montré son incapacité à produire « un prix juste » (Hubert Rodarie) : «Elle porte aussi une large responsabilité dans les dysfonctionnements et autres dérives des marchés financiers .»
L’homme ne peut donc, contrairement à ce que les financiers ont cru pouvoir enfin réaliser, oublier le temps et sa valeur : ainsi émerge la nécessité d’une nouvelle et plus réaliste conception du temps et du futur d’un point de vue philosophique sans doute, mais aussi pour d’autres sciences qu’elles soient molles ou dures !
Aussi le mieux est encore de revenir aux fondamentaux : le temps reste le bien le plus précieux que l’homme possède, car contrairement tout autre bien ou chose, s'il est perdu, il ne peut être récupéré ; le temps c’est de l’argent, mais sa valeur s'est altérée avec le culte de l’immédiateté et l’obsession à « gagner du temps ». Ce « sentiment d’urgence » touche tous les pans de nos activités jusqu’à la façon de s’exprimer ( le débit s’accélère, le temps médiatique se raccourcit), dans la santé, comme pour la mode.
Cette accélération du temps remonte aux années 80, quelque chose s’est dégradé dans notre rapport au temps.
Comme le note Gilles Finchelstein, dans une lumineuse synthèse : «la socialisation du temps n'est plus dans l’avenir mais dans l’immédiateté , le pire serait que ce culte du « va-vite » soit payé par nos descendants en sacrifiant le long terme au court terme, l’homme crée son temps en fonction de ses croyances et de ce qu’il est capable d'imaginer ; s'il croit que le futur dépend de son action, sa vie se construira avec cette image .»
Enfin, si on a cru pouvoir « acheter du temps », comme ont pu le tenter les Etats occidentaux avec leurs dettes devenues insoutenables, ou la classe politique avec un luxe de promesses, l’expérience vient de s'achever dans la douleur : tôt au tard il faut payer la note du temps avec intérêts et principal.
Aussi le défi du nouveau millénaire pourrait tenir dans notre capacité à nous réapproprier notre temps, à le réinventer pour ne plus le perdre : ralentir le temps suppose de la volonté et de la lucidité sur ce que nous voulons vraiment :
- En nous ménageant des espaces de « respiration » dans nos emplois du temps privés et professionnels, en nous réservant des rendez-vous avec « nous-mêmes » aussi sérieusement et ponctuellement qu’on peut le faire avec un ami ou un client, en donnant « du temps au temps », nous retrouverons sa vraie valeur, le temps qui reste n’a pas de prix mais sa valeur reste inestimable, la promesse d'un regard neuf sur notre rapport au temps, plus que jamais celui des incertitudes.
Jean-Louis CHAMBON
Président d’honneur et Fondateur du Cercle Turgot
Président du Prix Turgot.
Retrouvez toutes les émissions de Jean-Louis Chambon avec sa chronique : Economie et finances.