Réflexions sur le modèle social européen
Il est édifiant, et peut-être salvateur, de prendre la mesure du regard du reste du monde sur notre « modèle social européen », alors que les partenaires sociaux, les partis politiques et le gouvernement sont engagés en France dans un débat surréaliste sur le périmètre et le contenu d’une réforme des retraites, Jean-Louis Chambon s’y attelle dans cette chronique, en un appel au volontarisme politique.
Cette émission a été enregistrée en juillet 2010.
Attardons-nous sur les regards de deux superpuissances étrangères modernes : la presse internationale et les marchés financiers. Comment considèrent-ils l'état et l'avenir du modèle social européen ?
Pour le New York Times, la crise des déficits européens pourrait tout simplement sonner le glas de l'État-providence tel qu'on le conçoit en Europe occidentale. Toutes les avancées syndicales considérées en Europe comme des droits acquis sont en effet actuellement remises en cause : recul de l'âge de la retraite, baisse des salaires dans la fonction publique, plans d'austérité, etc.
Les éléments du modèle social européen sont un à un passés au rabot ou à l'essoreuse. Les politiques dispendieuses qui ont permis d'accompagner pendant des décennies les Européens, du berceau à la tombe, dans un filet de sécurité protecteur, atteignent des limites physiques et psychologiques, restreignant les marges de manoeuvre futures pour le développement de plans de soutien et de redressement financier.
Et le pire est à venir, avec le vieillissement inexorable de la population européenne : les effets à court et long terme de cette évolution démographique, qui alourdit les charges sociales et altère les capacités de réforme et d'entreprise, ne sont déjà que trop visibles au Japon. Les seniors ne sont pas les réformateurs d'un pays.
Du côté des marchés financiers, qui sont, quoi qu'on puisse en dire, la vraie nouvelle hyperpuissance planétaire, regardent l'Europe avec une perte de confiance croissante.
Les États européens, qui en sont devenus les serviteurs obligés à cause du laxisme de leurs dettes, voient leurs notes souveraines dégradées une à une : après la Grèce, l'Italie et le Portugal, c'est l'Espagne qui a été frappée par cette perte de confiance. L'Espagne, soit dit en passant, dont le ratio d'endettement du PIB est inférieur à celui de la France...
L'euro ne protège plus, et les écarts de prix à payer sur les dettes publiques deviennent préoccupants. Les dirigeants européens se montrent incapables de coordonner leurs volontés communes et de démontrer leurs capacités de pilotages dans les secteurs cruciaux. De plus, les annonces de plans d'austérité ne font que raviver les inquiétudes sur la zone euro.
Retrouver la confiance du reste du monde et des marchés nécessite plus que de la technique et du politique, mais aussi du volontarisme, du courage et du bon sens.
La vieille Europe ne peut plus conserver son mode de vie confortable sans une cure d'austérité et des réformes majeures. Au sein de l'UE, les dépenses publiques sociales sont passées de 16 % du PIB en 1980 à 21 % en 2005. Elles s'élèvent à 31 % en France, dont plus de la moitié pour les retraites.
Le temps du volontarisme politique est venu pour les gouvernements européens, sous le regard inquiet des générations futures.