Georg Bazelitz : la violence devenue sculpture
Provocation, agression, sacrilège ? Toute la sculpture de l’allemand Georg Baselitz est une question d’affrontement, comme l’explique Jacques-Louis Binet qui se fait notre guide pour l’exposition que le Musée d’art moderne de la ville de Paris consacre à cet artiste ( jusqu’au 29 janvier 2012).
Avant de parler de l’exposition actuelle sur Baselitz sculpteur au Musée d’art moderne de la ville de Paris, deux préalables s'imposent, l’un sur l’importance de l’art allemand durant ces trente dernières années et l’autre sur Baselitz, lui-même, écrivain et peintre avant d’être sculpteur.
Depuis quarante ans la peinture allemande joue un rôle considérable dans l’art moderne, ce rôle a été promu par le Musée d’art moderne de la ville de Paris. Son conservateur, Suzanne Pagé a organisé des expositions sur Richter (Couleurs de 1975 à Beaubourg), Schnabel (Portrait de 1983 à Beaubourg), Beuys ( Un Environnement à Beaubourg), Polke, Kiefer (Expositionà Monumenta et cours au Collège de France 1910-1911) et déjà Baselitz était présent ainsi que Schütte et Penk. C’est grâce à elle, et à ses collaborateurs, que ces artistes, qui connaissent aujourd’hui une réputation internationale, nous ont été montrés.
Fabrice Hergott prend aujourd’hui le relais avec la sculpture de Baselitz.
Deuxième préalable : toute son oeuvre est placée sous le signe de l’agression, de la provocation, du sacrilège.
Le premier affrontement se fait avec les mots : Hans Georg Kern devient Baselitz, nom de sa ville natale et écrit Manifeste pandémonique en 1961 puis une seconde version, en 1962, à Berlin.
Le deuxième affrontement a, bien sûr, lieu avec la toile de 1963, La Grande nuit foutue.
Enfin, un troisième affrontement a lieu avec la composition du tableau : après des essais de corps coupés en deux et représentés transversalement L’Homme contre l’arbre, en 1969, comme Le Supplice de Marsyas du Titien, à la fin de sa vie, permettent selon Baselitz (et Werner Spies le confirme) une libération des couleurs et des formes. Pour signifier encore plus cette idée d'affrontement, depuis 1991, Baselitz ne peint plus sur châssis mais à même le sol où la toile est posée.
L’exposition qui lui est consacrée propose une lecture rétrospective de la quasi-totalité de son œuvre sculptée.
Nous suivrons l’exposition comme elle est présentée, chronologiquement.
La violence s’exprime dès la première sculpture, datée de 1979, par une taille directe du bois à la hache, aux ciseaux ou la tronçonneuse qui offrent des surfaces tranchées, anfractueuses, découpées, incisées, martyrisées. Un refus de toute élégance, une recherche de la disharmonie qui reposent sur une instabilité de la forme.
Baselitz ne sculpte pas, il cogne.
- Son Modèle pour une sculpture (Modell für eine Skulptur) (1979-1980) a déjà été présenté au centre du Pavillon allemand lors la Biennale de Venise en juin 1980. Cette sculpture qui ouvre l'exposition, présentée dans une atonie chromatique où le marron et le noir dominent, est dans une position demi-assise saluant du bras droit.
Dans ses premières Têtes (1979-1980), nous percevons mieux la violence de la taille comme dans ses Têtes et figures debout (1982-1984). Elle nous amènent à ressentir le travail parallèle, parfois concomitant, de la peinture, du dessin et de la gravure pratiquée par l'artiste, en grand format, depuis 1977.
Sans titre, le bleu entre les incisions, comme le bleu sur le visage de Pierrot- Belmondo avant l’explosion finale du film de Godard, Pierrot le fou. Dans cette figure debout, on remarque la grossièreté du bois qui participe de l'asymétrie des jambes privées de pieds.
Salutations d’Oslo et deux Têtes, (1986-1988)
Salutations d’Oslo (Gruss aus Oslo), réalisée en 1986, a été inspirée par une histoire vécue : une serveuse ivre laissa tomber son plateau sur l'artiste. Il a joué sur le mouvement instable soutenu par un support métallique, un dos rectiligne et une énorme poitrine pendant à des mains volontairement épaisses.
Dans la Tête G (1987), le sculpteur a réalisé «grille» en utilisant une scie à ruban, ce qui donne une impression de disharmonie (alors qu’elle sert plutôt de support chez Vasarely) dans la composition.
- La Tête tragique (1998), ne pourrions-nous pas y voir une allusion au nez rouge de Pinocchio ? Le Pinocchio de Jim Dine serait alors passé du Pop à l’expressionnisme...
Les Femmes de Dresde (1989-1990) rappellent un évènement tragique, Dresde fut totalement rasée en février 1945 par les bombardements alliés faisant 35.000 morts. Dresde fut à l’Allemagne ce que Guernica fut à l’Espagne.
L'exposition nous présente un ensemble de treize têtes, de la même hauteur (entre 55 et 69cm), peintes d'un jaune qu'il n'utilisait jusqu'à présent que pour ses toiles. Elles apparaissent comme scarifiées, sans nez, semblables aux têtes des rois de Judée ornant autrefois la façade occidentale de Notre-Dame et déposées au Musée de Cluny, mais, cette fois, elles portent chacune un titre (Elster, La Wende, La Rieuse, Karla, L’Elbe…) et se différencient par leurs formes (arrondies ou aplaties) et leurs surfaces (parfois trouées pour Pignon).
La Jambe de 1993, est souvent rattachée à la même série et rappelle l’attachement de Baselitz au FRAGMENT. Cette série est un moment fort de la visite car nous pouvons sentir que l’agressivité du sculpteur s’est muée en compassion.
Un autre moment fort de cette exposition, c'est la rencontre avec les sculptures Deux têtes Torse rouge, (1993-1996). Après une pause avec les dessins, qui illustrent le propos du sculpteur : « J’ai toujours suivi une idée qui se termine autrement. » Toute la violence, l’agression, la provocation se voient justifiées, comme sublimées par la sculpture.
La mutilation embellit, l’asymétrie équilibre, le tissu, qui enveloppe, colore. Nous retrouvons une certaine asymétrie entre les deux figures, Elke (1993), Excentrique (1993) où la peinture rouge dessine latéralement, comme chez Picasso, une autre bouche, dans la perspective cubiste, tracée par une incision sur le bois clair du tilleul.
Nous remarquons également une attirance pour la mutilation exprimée crûment : du coté droit de Chose avec bras (1993), du côté gauche de Frau Paganismus (1994), des deux bras dans le Torse masculin (1993) qui serait plutôt un torse asexué, ou bisexué car la poitrine y est évoquée.
L’enveloppement dans des tissus bleus ou rouges d’une tête (Chose avec Asie 1995) complète la série.
L’exposition se termine par des Figures, inspirées par l’art populaire (1996-1997), dans lesquelles nous retrouvons, la taille de « la grille bleue», les Portraits monumentaux ( 2003-2004) ainsi qu'un un pied gigantesque (Pace Piece). Les deux Autoportraits, 2009, permettent-ils à Baselitz d'être l'objet de sa propre dérision? "Zéro" inscrit sur sa casquette semble le confirmer, le reflet spéculaire d'un artiste atypique.
Avec Baselitz, on se rend compte que la violence n'est plus seulement violence ; elle est devenue sculpture.
Jacques-Louis Binet.
Exposition Baselitz sculpteur
jusqu'au 29 janvier 2012 au Musée d’art moderne de la ville de Paris
Ouvert du mardi au dimanche jusqu'à 18h (fermeture des caisses à 17h15)
Nocturne le jeudi jusqu'à 22h (fermeture des caisses à 21h15)
Fermeture les lundis et les jours fériés
En savoir plus:
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