Anna Magdalena Bach, la seconde femme de Bach

Son biographe, Philippe Lesage, et Gilles Cantagrel, dialoguent sur la compagne du génie...
Avec Gilles CANTAGREL
Correspondant

Gilles Cantagrel, correspondant de l’Académie des beaux-arts et grand spécialiste de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, s’entretient ici avec Philippe Lesage qui vient de publier aux Editions Papillon, le livre Anna Magdalena Bach et l’entourage féminin de Jean-Sébastien Bach . Découverte d’une admirable épouse...

Dans la préface de cet ouvrage, Gilles Cantagrel évoque, à son tour, Anna Magdalena Bach :

Si la haute et belle figure d’Anna Magdalena Bach, compagne du génie, est chère à de nombreux mélomanes, sa personne, sa vie même demeurent insaisissables. Pas de portrait laissant un instant apercevoir l’apparence de l’être humain qu’elle fut, pas non plus de correspondance pouvant manifester quelque trait de caractère. L’idée que l’on se fait d’elle ne peut être qu’abstraite et relever de l’imaginaire de chacun.


La Petite chronique qui lui a été autrefois attribuée n’est, on le sait, qu’une fiction moderne dont Anna Magdalena n’occupe d’ailleurs pas le centre. Quant au Petit Livre ouvert pour elle par son mari, très émouvant journal intime de la famille et parfaitement authentique, lui, il n’est que musique, sans apporter, du moins au premier degré, la moindre donnée factuelle sur l’être de chair et de sang, ses joies et ses douleurs au fil des ans, moins encore son indicible solitude une fois disparu celui auquel elle avait voué, dès ses vingt ans, son existence.


Mais si, vingt-huit années durant, elle fut l’admirable épouse de Bach, la mère de treize de ses enfants et la régente de la maisonnée, compagne des plus riches heures et des temps de souffrances, il n’y eut pas que la seule Anna Magdalena au nombre des femmes proches du musicien. Celui qui à peine âgé de neuf ans a vu mourir sa propre mère, peut-être idéalisée en un paradis perdu, dut s’en trouver marqué d’une sensibilité toute particulière à l’égard de la Femme. La tendresse émue qui émane de son Ode funèbre à la mémoire de la princesse Christiane Eberhardine en renvoie, parmi d’autres, l’écho. Il y a donc encore et avant toutes, éclipsée dans l’ombre d’un injuste oubli, la première compagne de Jean-Sébastien, sa cousine Maria Barbara, proche du cœur du tout jeune homme et elle aussi trop tôt disparue, qui devait lui donner sept enfants en douze années d’union. Et ces autres femmes reléguées au gynécée par la société du temps, mais que les Bach ont côtoyées alors que la musique était principalement l’affaire des hommes. Souvent oubliées elles aussi, les filles mêmes du musicien, les parentes, les amies et les collaboratrices – tout un aspect plus sensible du quotidien de la famille et pourtant négligé, aspect généralement délaissé par les biographes, faute de documents suffisants pour éclairer un quotidien qui nous échappe et qui cependant vit émerger l’œuvre prodigieuse et gigantesque du maître de maison.


Sous l’égide de la fondation Bach-Archiv de Leipzig, et grâce aux travaux d’éminents musicologues, la recherche sur le musicien et son environnement se poursuit et progresse de façon substantielle depuis une vingtaine d’années. Au fait de ces travaux, Philippe Lesage s’est ici livré à une tâche de longue haleine : scruter le climat historique et social, avec tout ce que cela a pu engendrer de traditions et de modes de vie, collecter les plus infimes morceaux mis au jour, modestes tessons de l’Histoire permettant, au prix d’une infinie patience et d’une parfaite rigueur, de reconstituer peu à peu les éléments d’une mosaïque disparue. Il était nécessaire, là où manquent les informations, d’émettre des hypothèses, ce que l’auteur de ce récit historique a fait avec la plus grande prudence, marquant bien ce qui distingue les suppositions de ce qui relève de faits avérés. Un important appareil de notes renvoie aux multiples sources consultées ou citées, constituant la meilleure des garanties de véracité de ce qui est affirmé.



Philippe Lesage, auteur d’Anna Magdalena Bach et l’entourage féminin de Jean-Sébastien Bach .



Il aura fallu cette accumulation de petits faits vrais, directement ou non liés à la vie de la famille Bach, pour que lentement se dégagent quelques aspects de la personnalité d’Anna Magdalena, et se reconstitue un touchant tableau de la vie de tous les jours. De la confrontation des nombreux fragments patiemment réunis, parfois guère plus que des lambeaux d’information, furtives ou notations cueillies au vol, et d’une connaissance aussi vaste qu’approfondie du contexte historique, naît une compréhension intime des êtres et des événements que l’auteur fait partager à son lecteur.

Pour faire mieux saisir certains aspects du quotidien, et plutôt qu’une froide description, celui-ci préfère, de temps à autre, imaginer habilement une observation ou un bref dialogue parfaitement vraisemblables. À eux d’exprimer de façon plus vivante tel ou tel point se dégageant du faisceau de documents, aussi bien l’air du temps que la connaissance biblique de Jean-Sébastien ou le poids d’une décision à prendre, par exemple.


Le récit nous plonge au cœur du formidable réseau des Bach. Tout un petit monde d’artisans de la musique, gravitant autour du génie, de gens souvent simples, honnêtes, et durs à la tâche, avec leurs heurs et leurs malheurs. L’ascension sociale arrivera avec Jean-Sébastien, mais les femmes, hélas ! restent encore dans l’anonymat. La triste fin d’Anna Magdalena, que cette évocation nous rend à chaque page plus proche et plus chère, en porte le navrant témoignage.


Le cadre contextuel se fait parfois bien large pour sertir la figure d’Anna Magdalena, et c’est alors toute une société avec ses rites et ses pratiques qui revit avec elle. On y découvre bien des aspects insoupçonnés, comme le climat d’un début d’émancipation féminine, ou le choc entre une société fortement ancrée dans ses coutumes et la fermentation d’idées nouvelles.


Dans l’évocation de cet environnement, jamais abordé et traité ici avec le plus grand sérieux historique, c’est aussi un pan de l’histoire de l’Allemagne centrale dans la première moitié du XVIIIe siècle qui s’éclaire, histoire sociale, intellectuelle et économique – culturelle, en un mot, généralement inconnue du lecteur français. Ce n’est pas là le moindre attrait de cet ouvrage qui ouvre bien des perspectives à la réflexion. Quant à la chère Anna Magdalena, on ne l’en aimera que davantage désormais.






Gilles Cantagrel


Canal Académie vous invite à poursuivre la découverte du livre passionnant de Philippe Lesage Anna Magdalena Bach et l'entourage féminin de Jean-Sébastien Bach
en consultant les deux extraits ci-joints (voir ci-dessous en bas de page).







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