« Musique, que me veux-tu ? » par Gilles Cantagrel : Haendel
Si le Messie est l’œuvre la plus célèbre de Haendel, elle n’est pas pour autant bien connue du grand public qui en a retenu le fameux Alléluia. Sa genèse, sa création, sa diffusion, sa célébrité, tissent une très belle histoire, bien peu ordinaire. Gilles Cantagrel, correspondant de l’Académie des beaux-arts, nous en dresse le récit.
Musicien saxon qui a fait ses débuts à Hambourg avant de passer par l’Italie, Haendel se fixe à Londres en 1710. Il a vingt-cinq ans. Et là, très rapidement, ce conquérant-né va se faire admirer de toute la noblesse, auprès du duc de Chandos et très tôt de la famille royale – il est vrai que le roi George Ier, ancien électeur de Hanovre, est un compatriote allemand.
Au palais St-James, Haendel enseigne la musique aux jeunes princesses, filles de la très aimée et très vénérée reine Caroline, l’épouse du futur George II, elle-même allemande du Brandebourg et fidèle protectrice du musicien.
Sitôt établi à Londres, les succès se suivent pour Haendel, qui compose hymnes, musiques de fêtes, sonates, concertos, oratorios et opéras. C’est que depuis la mort de Purcell quinze ans plus tôt, aucun compositeur n’avait repris le flambeau de l’opéra et surtout de l’oratorio. En 1719, il prend la direction de l’Académie royale de musique en 1719. Là, il va tenter d’acclimater à Londres l’opéra italien, et en langue italienne, tel qu’il l’avait admiré et pratiqué à Rome et à Naples, à Florence et à Venise. Entrepreneur privé, il fait venir et paye à prix d’or les plus célèbres chanteurs de l’époque, le castrato Senesino, et les plus célèbres prime donne, la Cuzzoni, la Bordoni. On ne parle que de lui dans la presse, il est l’un des hommes les plus en vue de la plus grande ville du monde - un million d’habitants. Mais la greffe ne prendra jamais. Le public finit par se lasser, les abonnés désertent. Après de multiples et douloureuses péripéties, il se trouve au bord de la faillite et au comble du désespoir.
Il est atteint de paralysie, retourne en Allemagne pour se soigner et se ressourcer, revient guéri à Londres, mais se voit bientôt contraint de renoncer à l’opéra. Peu après, il compose un nouvel oratorio, en anglais, et uniquement sur des textes bibliques, principalement de l’Ancien Testament. C’est le Messie.
La composition ne lui prend que vingt-cinq jours, d’un travail d’une prodigieuse intensité, en état second. Là-dessus lui parvient l’invitation de se rendre en Irlande, à Dublin. Et c’est là qu’il fait entendre pour la première fois son Messie, en 1742, dans une salle de théâtre, en un gala au profit d’œuvres charitables. Il est joué et rejoué, dans un enthousiasme indescriptible.
De retour à Londres, Haendel y présente son Messie à Covent Garden, mais sans succès, jusqu’au jour où le roi Georges II vient l’écouter et s’en montre enchanté, au point de se lever au moment de l’Alléluia. Dès lors, le Messie allait devenir une œuvre fétiche pour les Anglais. Il ne connut aucune éclipse jusqu’à nos jours. De son vivant, Haendel fut le seul à le diriger, en exclusivité (il avait pour cela refusé qu’on en imprime la musique qu’il conservait par devers lui), près de soixante-dix fois, avec des effectifs de plus en plus imposants. Et toujours au bénéfice de l’hospice des enfants trouvés.
L’œuvre est une évocation de la destinée du Christ, une méditation, et non une narration, comme ce serait le cas dans un oratorio de la Passion. Le poète Jennens, qui a réalisé le montage de textes empruntés aux Écritures, l’a organisée en trois parties, successivement l’attente et la venue du Messie, puis les souffrances et la mort du Christ, enfin la résurrection et l’accomplissement de la rédemption.
Devenu très célèbre et très riche, Haendel devait mourir solitaire, aveugle, fort pieux – et anglais : quoique demeuré fidèle à sa foi luthérienne dans un milieu anglican, il est inhumé en héros national dans l’abbaye de Westminster. Un grand monument funéraire orne son tombeau, dû au sculpteur Roubiliac.
On sait qu’à l’origine, le Messie était déjà exécuté avec un effectif relativement important : quatorze violons, six altos, trois violoncelles, deux contrebasses, quatre hautbois, quatre bassons, deux trompettes, deux cors, et un chœur de trente-deux chanteurs, en plus des solistes. Soit plus de 70 musiciens. Vingt-cinq ans après la mort du musicien, on organise à Londres un grand festival de ses œuvres. Le Messie y est interprété par 525 artistes. Et pour le centenaire de la mort du musicien, en 1859, on ne réunit pas moins de 3200 musiciens pour exécuter le Messie au Crystal Palace de Londres. Aucun musicien n’a jamais connu pareille postérité.
La petite maison qu’il habitait, dans Mayfair, 25 Brook Street, a failli être rasée il y a une trentaine d’années. Une pétition internationale l’a sauvée, peut-être aussi parce que Jimi Hendrix a habité la maison voisine… toujours est-il qu’elle est devenue en 2001 un musée Haendel qu’il faut aller visiter…
A propos de Gilles Cantagrel :
Gilles Cantagrel est un musicologue, écrivain, conférencier et pédagogue français né le 20 novembre 1937 à Paris. Il étudie la physique, l’histoire de l’art et la musique à l’École normale et au Conservatoire de Paris. Il pratique aussi l’orgue et la direction chorale. Il s’oriente vers le journalisme et la communication et écrit dans des revues comme Harmonie et Diapason. Il devient producteur d’émissions radiophoniques en France et à l’étranger et dirige les programmes de France Musique entre 1984 et 1987. Conseiller artistique auprès du directeur de France Musique, il fut vice-président de la commission musicale de l’Union européenne de radio-télévision. Il est l’auteur d’une série de films sur l’histoire de l’orgue en Europe. Enseignant, conférencier, animateur, il participe en 1985 à la création du salon de la musique classique Musicora.
Il a été président de l’Association des Grandes Orgues de Chartres de 2003 à 2008 et administrateur d’institutions comme le Centre de musique baroque de Versailles, et membre du conseil de surveillance de la Fondation Bach de Leipzig. En 2001, il est nommé membre du Haut comité des célébrations nationales par le ministre de la Culture. Il a été maître de conférences à la Sorbonne, intervient au Conservatoire national supérieur de musique de Paris et dans différents conservatoires et universités en France et au Québec. Il donne des conférences en Europe en Amérique du Nord et participe à des jurys de concours internationaux. Depuis quelques années il participe au Festival Bach en Combrailles. Il est un expert reconnu du Kantor de Leipzig.
Gilles Cantagrel est correspondant de l’Académie des beaux-arts depuis le 29 novembre 2006.