Science-Fiction par Michel Pébereau : Flashback de Dan Simmons et Ciel Profond de Patrick Lee
Drogue, assassinat du président des États-Unis, des thèmes récurrents de la littérature américaine, au centre des deux livres qu’a choisis l’académicien pour sa chronique de science-fiction. Les craintes de l’Amérique à travers deux romans sous l’œil critique de Michel Pébereau.
Texte de la chronique de Michel Pébreau
Dan Simmons : Flashback
Le cadre, c’est l’Amérique, dans 20 ans. Le personnage central est Nick Bottom, un ancien policier de Denver. Il a quitté son emploi et sombré dans la drogue six ans plus tôt, à la suite de la mort de sa femme Dana, elle aussi policière, dans un accident de voiture. Il enquêtait alors sur le meurtre de Keigo, le fils d’Hiroshi Nakamura, un homme d’affaires japonais riche à milliards. Devenu détective privé il reprend, à la demande de Nakamura, des recherches qui n’avaient pas abouti à l’époque.
L’Amérique toute entière a plongé dans la drogue. Une drogue nouvelle, le flashback, irrésistible, car elle permet de revivre des souvenirs de moments heureux : par exemple, pour Nick, ceux de sa vie avec Dana. Les États-Unis ont sombré dans une faillite à la fois financière, politique et morale, après les années Obama. Ils se sont désintégrés. Plusieurs États ont pris leur indépendance. Les « hispaniques » contrôlent le Nouveau Mexique et menacent la Californie. Les Japonais rachètent des pans entiers de l’économie : Nakamura est l’un des principaux acteurs de leur conquête, comme conseiller plénipotentiaire pour la reconstruction.
Le monde ne se porte guère mieux. La Chine est décomposée en royaumes combattants. Israël a été anéanti par des bombes thermonucléaires. Le Khalifat, une grande république islamique, a pris le contrôle de l’Europe et du Canada, victimes à la fois de leur mauvaise gestion et de la drogue. Il a l’ambition de régner sur l’ensemble de la planète.
Dan Simmons : Flashback (Traduction par Patrick Dusoulier - Ed. Robert Laffont Collection Ailleurs et demain (517 pages) 22.50 €
L’usage du flashback est naturellement interdit partout. Mais l’interdiction n’est respectée que dans le grand Kalifat, où les contrevenants risquent la peine de mort, et au Japon, où l’on a du respect pour les règles. Le bruit court qu’un super flashback aurait été découvert par un laboratoire pharmaceutique. Il permettrait à chacun d’inventer le rêve dans lequel la drogue le plongerait, et de s’installer ainsi dans un bonheur éternel : le coup de grâce potentiel pour les pays où l’accoutumance s’est développée …
Nick ressemble fort à l’inspecteur Colombo des séries télévisées. Comme lui, il ne paie pas de mine et se déplace dans une voiture sans âge. Et, comme lui, il finira par expliquer le crime. Il va être aidé par son vieux père, qu’il avait un peu perdu de vue : un professeur américain, attaché aux valeurs de l’Amérique traditionnelle. Il aura aussi à traiter les problèmes de son jeune fils, qu’il a abandonné au grand-père, et qui fréquente un petit groupe de jeunes drogués apprentis terroristes. Son enquête le met sur la piste des origines du flashback, et lui fait découvrir les rapports de force entre les groupes qui essaient de prendre le contrôle de cette Amérique en loques.
C’est un livre qui dérange. Il est incontestablement très engagé, comme son auteur. Dan Simmons fait partie de la droite américaine qui combat le président Obama et sa politique sociale. Son livre se veut une démonstration des dangers de cette politique. En outre, cet enquêteur solitaire qui finit par expliquer l’histoire du monde à partir d’une enquête à Denver manque quelque peu de réalisme, et de crédibilité. Au contraire des ouvrages habituels de l’auteur, qui ont tous été de grands succès, c’est une œuvre irritante, contestable. Mais l’analyse d’un monde en voie de décomposition sous l’effet d’une drogue miracle n’est pas dépourvue d’intérêt. Et, comme d’ordinaire, Dan Simmons a construit son histoire avec une logique implacable, et la raconte avec talent. Une fois la lecture engagée, on ne peut plus l’arrêter. On referme le livre avec une réelle inquiétude, parce qu’on peut trouver dans notre présent quelques racines d’un tel futur...
Autres œuvres de Dan Simmons disponibles chez Pocket :
Le cycle d’Hyperion et d’Endymion
Ilium – Olympos, Terreur
Patrick Lee : Ciel Profond
C’est le dernier ouvrage de la trilogie de Patrick Lee dont j’ai déjà parlé dans cette rubrique. C’est donc la fin des aventures du couple qu’ont fini par constituer l’ancien policier Travis Chase, et la jeune scientifique Page Campbell, au service du « Trident » : un organisme secret créé par le gouvernement américain pour étudier les « entités » qui sortent depuis la fin du XXe siècle d’une brèche vers ce que l’on a d’abord cru un autre monde et qui est peut-être le futur.
Comme les deux volumes précédents, L’entité 0247 et Le pays fantôme, Ciel profond démarre sur un événement dramatique : l’assassinat du Président des États-Unis par la destruction de la maison Blanche, grâce à un missile censé assurer la protection du territoire américain.
Les protagonistes et les enjeux de la guerre souterraine pour le pouvoir à laquelle se trouvent mêlés les deux héros se précisent. Les rebondissements se succèdent à un rythme de plus en plus échevelé. L’imagination débridée de Patrick Lee a quelques conséquences sur la vraisemblance de l’histoire, même pour de la Sciences Fiction. Mais cette trilogie reste jusqu’au bout un suspens haletant.
Patrick Lee , Ciel Profond (345 pages) – Traduit de l’anglais par Patrick Coutou Éditions Atalante, 19 avril 2013
Pour en savoir plus
- Michel Pébereau sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques
- Éditions Atalante
- Éditions Robert Laffont