La communication politique et ses mots-clés

La chronique de Geneviève Guicheney, Correspondant de l’Institut
Avec Geneviève GUICHENEY
journaliste, Correspondant

L’époque appelle à un retour du politique. Non pas qu’elle en soit dépourvue mais tout se passe comme si cela échappait. Nos concitoyens y aspirent qui ont suivi avec intérêt la campagne des élections municipales qu’ici ou là on décrit comme une des plus sérieuses quand d’ordinaire, localement, « les noms d’oiseaux volent » en lieu et place d’un échange d’arguments politiques. Obsédés de communication, nos politiques en oublient de faire état d’une pensée, à partager ou non c’est une autre question.

Émission proposée par : Geneviève GUICHENEY
Référence : chr526
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Le texte de cette chronique constitue l'édito de Geneviève Guicheney, dans la revue Positions et médias de mars 2008.



Les politiques et d’autres, responsables de collectivités, d’entreprises, d’hôpitaux, bref dotés d’un pouvoir délégué par et sur les autres. Voilà une occasion de visiter quelques mots dont l’us et l’abus ne laissent pas d’irriter.


Communication.
Précède l’action. Une fois passe mais cela prend des proportions dangereuses. Dangereuses pour tout le monde. Démuni le destinataire d’une communication qui n’a qu’elle-même pour objet, pris comme une mouche dans la glu. Démuni aussi l’émetteur qui ne peut répondre de rien et laisse son message sans suite, sinon à forger immédiatement un nouveau message dans une spirale infernale qui vise le plexus plus que le cerveau des destinataires, on a presque envie de dire victimes de la communication. Un présupposé est qu’un bon communicant prend a priori les autres pour des imbéciles. Le but est de leur faire gober quelque chose. Un message habile sidère la pensée. Tout devient slogan. Il y a de la tentation totalitaire là-dedans. Aucune modestie, aucune générosité et des risques calculés mais petitement calculés. Il y a bien un moment où on va se trouver en situation de s’expliquer. Difficile lorsqu’on n’a pas pris le seul risque qui vaille dans une démocratie étendue ici à toutes les relations sociales, celle d’exposer sa pensée, son projet, d’en prévoir la mise en œuvre, d’en mesurer les implications. Au lieu de quoi, on cherche à impressionner, à soulever l’émotion. On voit bien comment au lieu de tisser du lien, on ne fait que le rompre. Il faut couvrir tant de situations et de champs différents, qu’on va forcément, à un moment ou un autre, dresser les gens les uns contre les autres. Et on ne s’en prive pas.

Tout un fatras de mots-clés a surgi rassemblés dans une grande boîte à outils de communication, repris comme autant de pierres d’achoppement qu’ils ne sont pas, détournés d’un sens qu’ils ont ou avaient dans d’autres circonstances mais qui ne trouve plus à s’appliquer. À dire vrai cela n’a même aucune importance. Ainsi quelques mots usés jusqu’à la corde comme fondamentaux, valeurs, émaillent les discours de personnes pourtant sensées qui semblent avoir renoncé à exprimer leur pensée, mais essaient plutôt de la faire entrer, au prix de quelles outrances, dans ces mots-valises dont plus personne ne sait exactement ce qu’ils veulent dire au regard de leur situation, au problème qu’ils sont censés décrire, aux solutions proposées. Quel domaine d’activité échappe aujourd’hui au « retour aux fondamentaux » ? De quoi parle-t-on à la fin ? Qu’est-ce que cette notion appliquée à tout ce qui se peut imaginer, de l’éducation à la justice, en passant par la démocratie locale ou allez savoir quoi. D’ailleurs essayez vous-mêmes, vous verrez que vous pouvez. Pris de court n’hésitez pas avec le ton de cirons tance à vous sortir d’un mauvais pas en affirmant péremptoirement qu’il convient ici de « revenir à nos fondamentaux ». Vos interlocuteurs en resteront cois. C’est que c’est sérieux les fondamentaux. Vous ne savez pas ce que c’est mais une fois que l’on va vous a jeté cela à la figure, vous avez du mal à dire que non, non, les fondamentaux ce n’est pas important. Plutôt qu’un mot-valise c’est un mot-piège en ce qu’il ne peut être contesté sauf à avoir l’air de préférer les sables mouvants, l’incertitude, l’improvisation à la solidité de ce qui est fondamental. Un petit tour dans le dictionnaire vous découragera de refuser l’invitation. Nul besoin pour l’émetteur de préciser ce qu’il entend par là. Le mot-piège, le mot-masque dispense de toute précision. Or c’est exactement ce qui manque. Que trouve-t-il fondamental ? Quelle pensée nourrit son propos ? L’emploi d’un mot fort comme celui-là a quelque chose de violent en ce qu’il décourage la réplique. Puisque c’est fondamental sans que l’on sache qui en a décidé on ne discute pas. Pas de question, pas de débat, pas de doute non plus. Or, plus la situation est difficile, plus elle comporte de doutes qui ne trouvent pas à s’exprimer. Et voilà comment on crée petit à petit un chaudron du diable.

C’est si bon pourtant l’incertitude, cousine aimée de la complexité. Sa simple évocation ouvre l’espace, la liberté de douter, de poser des questions, d’hésiter, de partager, de se chamailler, de concilier des intérêts contradictoires et créer les conditions de la négociation, d’entrer dans un espace transactionnel, vivant, bruyant de la vie de tous ceux qui cherchent à résoudre, apaiser, répondre avec le plus de pertinence possible dans les conditions données.

Pertinence, voilà encore un mot malmené qui n’existe plus que par l’engouement pour son contraire l’impertinence. Comme la communication qui précède l’action, l’impertinence étouffe l’idée même de pertinence. Voilà que nos concitoyens sont supposés vouloir de l’impertinence. Que cache le choix de ce mot et des comportements, actions qui s’ensuivent ? Se moquer de tout et de tous ? Dans notre monde inquiétant et lourd de situations dramatiques et menaçantes voilà qu’on propose de tout prendre à la légère, de confondre liberté d’expression et droit à étriller tout ce qui passe à portée de moquerie et de dérision. Il en faut assurément mais pas tout le temps et pas pour tout. On appréciera au passage ce que cette manie de l’impertinence a de contradictoire avec le « retour aux fondamentaux ». Inconvénient des slogans qui se vampirisent les uns les autres et aboutissent à une cacophonie où l’on ne reconnaît plus rien de ce qui a fait la construction de la démocratie, douloureuse, violente, patiente et toujours remise sur le métier

Contradiction aussi du côté des médias qui se croient obligés de faire la promesse de l’impertinence pour montrer leur indépendance ou allez savoir quoi et dans le même temps se complaisent dans le récit des malheurs et tragédies transformant leurs colonnes et antennes en une suite d’uppercuts dont vous sortez dans un état de découragement nauséeux dont seule peut vous sortir, à condition d’en avoir l’énergie, une colère salvatrice. La colère cependant a besoin de mots pour se sortir de son état émotionnel et faire de la place à une pensée. On ne les a pas toujours à disposition, on n’est pas non plus forcément en situation d’élaboration, démarche barrée autant par la communication que par l’impertinence. Dévoyée, devenue rusée, la communication, indispensable entre les êtres humains, s’est mise en tête qu’elle devait les manipuler. L’impertinence équivaut à un refus du sérieux, comme si le sérieux était ennuyeux. Vous ennuyez-vous lorsqu’on vous aide à comprendre le monde, lorsque ce qui était obscur et vous agressait devient plus clair et que sa cohérence enfin vous apparaît ? Freud a souvent évoquer le sourire que fait naître sur un visage une simple phrase parce qu’elle a frappé juste et dénoue ce qui la minute d’avant faisait encore souffrir.

Simplicité n’est pas synonyme de simplification. Les deux mots existent et couvrent des champs différents. Pour résoudre un problème ardu la simplification sidère, interdit le raisonnement et barre la route à la complexité. Paradoxalement, prendre en compte la complexité est un pas sur la voie de la simplification, laquelle devient alors un outil au service de la résolution du problème.
La simplification qui substitue des slogans à l’expression d’une pensée a l’attrait des fruits vénéneux. Sur le moment c’est plaisant, ça soulage même, mais après la complexité, têtue car elle est la réalité, revient et sert l’addition. On voit alors que la simplification a quelques wagons accrochés à sa locomotive, qui ont nom déception, trahison. Le temps entre alors en jeu. Soit on corrige et reconnaît sous une forme ou une autre qu’il convient de préciser, compléter, enfin de reprendre à zéro et faire le pari que les destinataires ne sont pas si bêtes. Ah, mais c’est qu’ils peuvent l’être par moments, il ne faut pas non plus sombrer dans l’angélisme. Non, ce dont nous parlons ici c’est de la responsabilité de ceux qui ont choisi, accepté, chercher à prendre en charge la gestion de la partie collective de la vie de leurs contemporains. De ce moment, ils passent un contrat tacite avec leurs mandants, quelle que soit la nature de leurs liens. Dans une entreprise, dans un quartier, dans un immeuble, dans une collectivité locale, dans un pays ou un continent, celui qui a du pouvoir doit aussi avoir de l’autorité, laquelle lui vient de la légitimité de sa fonction. La légitimité a en effet besoin d’être établie pour asseoir l’autorité.

Légitimité. Puisque nous avons du goût pour la complexité, nous devons ici reconnaître que la légitimité (d’où exercez-vous votre autorité ? qui vous autorise à vous faire obéir ?) si importante dans nos démocraties représentatives et nos systèmes électifs jusque dans les entreprises n’échappe pas à quelques risques, en particulier l’absence de capacité. Combien de chefs et petits chefs ont fait tout le parcours en respectant les règles, se trouvent du même coup légitimés et se révèlent une fois en place incapables de répondre à l’attente qu’ils ont librement suscitée. Ou encore un grand chef légitime choisit de s’entourer de sous-chefs peu capables ou incompétents pour accroître son autorité. Très risqué car les désordres provoqués par ces intermédiaires faibles et fragiles se retournent à plus ou moins long terme contre le grand chef qui par ce choix révèle sa propre faiblesse qui ne tarde pas à apparaître sous les coups de boutoir des dysfonctionnements provoqués par ses subalternes.

La bonne conduite des groupes humains, on dit bonne gouvernance aujourd’hui sous l’influence du vocabulaire anglo-saxon mais pourquoi pas à condition que l’on ne perde pas les buts, ne se satisfait pas de ces désordres. Les élites, que l’on préfère appeler « personnes en situation de responsabilité », passons, ont l’ardente obligation d’estimer leurs mandants, de vouloir les élever, de se nourrir de leur énergie pour agir et faire agir dans le sens du bien commun dont ils ont pris la charge en même temps que ladite responsabilité.

Incompréhension et désespoir.
Voilà à quoi on aboutit en ne remplissant pas sa part du contrat tacite qui lie les responsables à tous ceux qu’ils ont accepté de conduire. Par un mécanisme pervers le débordement gagne. Voilà que le reproche circule comme un mistigri. À qui la faute en somme ? Il faut retrouver une forme d’ordre.

Redressement.
Mot redoutable. Comme c’est tentant au pied du mur du débordement. Tout remettre d’équerre à coup de propositions autoritaires parées de fausses promesses. Les Français sont malheureux. Deux solutions : écouter leur souffrance, recueillir ce qu’elle comporte d’énergie, élaborer ensemble des solutions intelligentes conciliables avec l’intérêt commun ou alors, transformer les êtres en souffrance en victimes, désigner une source du mal aussi hors d’atteinte que possible, mondialisation, démission des parents, défaillance des enseignants, temps de travail, modernité, enfin elles ne manquent pas.

Modernité.
Nous exaspère au plus haut point. Son emploi. Vous cloue le bec. Balaie tout ce qui peut rattacher à quelque chose, lier, relier, autoriser la transmission, provoquer les frottements féconds. Mérite un meilleur sort. La modernité qui est de toutes les époques est à construire, par tous et tout le temps. Elle n’a pas d’existence en soi surtout quand on la reçoit comme une poutre sur la tête.
Tous les mots que nous avons visités aujourd’hui sont devenus des armes blanches par destination. La conséquence en est une grande souffrance et la colère.

Ne pas voir ici un propos de circonstance plein d’arrière-pensées non dites mais d’actualité dans bien des secteurs de la vie de notre société. L’affaiblissement du pouvoir qui a perdu les fondements (pas les fondamentaux) de sa légitimité et de son autorité débouche immanquablement sur la désorganisation de la société. Souffrance et colère peuvent être les moteurs d’une saine réaction pour sortir du malaise où l’on se trouve plongé. Encore faut-il en avoir les moyens c’est-à-dire être en mesure de s’approprier les données de la situation, prendre la distance indispensable pour élaborer, le faire collectivement car individuellement cela ne conduit à rien, et enfin disposer des outils et relais de propositions alternatives. Retrouver une forme de paix de l’esprit que seul peut donner l’espoir d’aboutir, quitte à en payer le prix. Faute de quoi, la colère réprimée, dans un pays de jacquerie, s’exprime en explosions.


On peut demander la revue Positions et Médias en écrivant à "le Marais" 03500 Bransat - tél. 04.70.45.43.22 ; courriel cap.editions@wanadoo.fr

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