Une nouvelle démographie mondiale, prévisions et changements
Philippe Jurgensen décrypte la nouvelle démographie mondiale qui se dessine au cours des cinquante prochaines années. Mais sur ce point l’avenir n’est-il pas déjà écrit ? Quelles sont les prévisions, les certitudes mais également les éléments nouveaux ? Notre chroniqueur les détaillent dans cette nouvelle chronique économique.
Les évolutions démographiques ont une grande force d’inertie ; pour le dire plus simplement, l’avenir de notre population est déjà, en grande partie, écrit. Deux exemples suffisent pour l’illustrer : tous les retraités de l’an 2070 sont déjà nés ; avec nos tables de mortalité très fiables, on sait donc à peu près exactement à l’avance quel sera leur nombre et la charge financière qui en résultera, à législation inchangée.
Deuxième exemple : le déclin de la population européenne « de souche », pendant les prochaines décennies est un phénomène inéluctable ; même si toutes les jeunes européennes se mettaient brusquement à faire deux fois plus d’enfants que leur mère, la tendance ne serait pas inversée avant plusieurs décennies - la seule inconnue étant de savoir si l’immigration viendra ou non combler ces pertes.
Et pourtant, plusieurs éléments importants du tableau ont changé depuis la précédente chronique que je vous ai présentée sur ce sujet, en mars 2006 La démographie
Quelles sont les prévisions ?
Voyons d’abord les éléments de permanence :
- Les nouvelles statistiques publiées dernièrement par l’Institut National d’Etudes Démographiques à partir des chiffres de la division de la population des Nations-Unies confirment - c’est évidemment un point essentiel -, la prévision selon laquelle la population mondiale se stabilisera dans la seconde moitié de ce siècle à hauteur de 9,3 milliards d’habitants (je prends ici la valeur moyenne de la fourchette des estimations).
Cette prévision, stable depuis une dizaine d’années, paraît fiable. Elle peut surprendre, dans la mesure où la population de notre planète augmente encore actuellement en valeur absolue à un rythme sans précédent : 75 millions d’âmes par an. Nos auditeurs se souviennent certainement qu’il y a juste dix ans, on nous a annoncé que nous étions 6 milliards sur Terre – niveau déjà presque quadruple de celui de 1900, 1,6 milliard seulement à l’époque. Nous sommes aujourd’hui près de 7 milliards (6,8 milliards exactement) sur le globe.
Le taux de fécondité
Mais cette croissance forte se fait entièrement sur la « vitesse acquise » : comme des générations nombreuses de femmes arrivent à l’âge de procréer, elles ont au total beaucoup d’enfants, même si chacune d’elles en a, en réalité, bien moins que la génération précédente. C’est pourquoi il faut regarder non le taux de natalité (nombre de naissances rapporté à la population) mais le taux de fécondité, c'est-à-dire le nombre moyen d’enfants par femme. Les taux de natalité restent élevés : 20 pour 1000 en moyenne mondiale - ce qui, compte tenu de taux de mortalité fort heureusement en baisse grâce aux progrès de la médecine et du développement, donne encore, pour peu de temps, un taux d’augmentation de la population de 1,1 % par an. En revanche, les taux de fécondité chutent fortement : la moyenne mondiale, qui était encore de quatre enfants par femme il y a trente ans, est tombée à 2,5. Généralement inférieure, dans les pays industrialisés, au seuil de renouvellement naturel permettant de maintenir constante une population, qui est de 2,1, elle est aujourd’hui proche de ce seuil (à 2,3) tant dans la vaste Asie qu’en Amérique du Sud, continents où chacun voyait naguère une « bombe démographique » en train d’exploser. La baisse des taux de fécondité et de natalité se poursuit presque partout, au point qu’un pays comme la Chine, le plus peuplé du monde aujourd’hui avec ses 1 300 millions d’habitants, commence à se préoccuper sérieusement de devoir « renverser la vapeur » de ses politiques anti-natalistes.
Vieillissement de la population
- Une deuxième confirmation est celle du vieillissement inéluctable de la population mondiale. L’Europe connaît déjà ce vieillissement, dû tant à l’allongement continu de l’espérance de vie (76 ans contre seulement 50 ans il y a un demi-siècle), qu’à la chute profonde et ancienne du taux de natalité, qui diminue la proportion de jeunes. Mais ce phénomène du « papy boom » est en train de s’étendre au monde entier, à l’exception notable de l’Afrique sur laquelle je vais revenir.
L’effectif mondial des plus de 65 ans est, en 2009, de 577 millions de personnes, dont déjà plus de la moitié en Asie. Par rapport au total de la population, la proportion des plus de 65 ans n’est pourtant encore que de 7 % dans ce continent, contre 13 % en Amérique du Nord et 16 % en Europe ; le chiffre pour la France est de 17 %. Les pyramides des âges, dans lesquelles se lit notre avenir, montrent cependant que le vieillissement va s’étendre très rapidement. Le nombre des plus de 65 ans dans le monde devrait tripler, pour atteindre un milliard et demi au milieu de ce siècle, soit un sixième de la population totale.
Chacun peut comprendre les répercussions considérables qu’aura ce phénomène sur les régimes de retraites. Chez nous, la prise de conscience est déjà assez avancée, même si les réformes courageuses qui s’imposent tardent à venir. Dans les pays émergents, on en est à découvrir le problème. L’inquiétude sur la manière dont ils seront pris en charge dans leurs vieux jours est d’ailleurs l’une des causes essentielles de l’importance excessive de l’épargne des Chinois, problème lui-même lié aux déséquilibres financiers mondiaux actuels.
Importance des pays en développement
- Enfin, une troisième confirmation est celle de l’importance accrue des pays aujourd’hui en développement dans la population mondiale. Globalement, les pays industrialisés verront leur population stagner tandis que les trois milliards d’êtres humains supplémentaires qui s’ajouteront à la population du globe viendront tous des pays actuellement en développement : en 2050, un habitant de la terre sur huit seulement viendra des pays actuellement dits « avancés ». C’est dire à quel point il est important que les pays émergents réussissent à se développer – et, peut-on ajouter pendant la conférence climatique de Copenhague, le fassent d’une manière qui préserve les équilibres écologiques de la planète.
Quels sont les éléments nouveaux ?
Après tant de confirmations, quels sont donc les éléments nouveaux de la situation ? Les changements significatifs concernent les deux continents qui sont aux extrêmes en matière de démographie : la vieille Europe et la jeune Afrique.
Dans les pays industrialisés
- La première surprise est une remontée de la fécondité dans les pays industrialisés. Certes, le déclin démographique est profond, notamment dans les pays d’Europe de l’Est et au Japon, mais pour la première fois depuis bien des décennies, la tendance semble s’inverser. C’est ainsi qu’en Europe de l’Est, où les taux de fécondité étaient parmi les plus bas du monde, à 1,3 enfant par femme, ils sont remontés à 1,5. Encore loin d’assurer le renouvellement des générations, ce regain semble stopper le processus de dégradation qui amène un grand pays comme la Russie par exemple à enregistrer une perte d’un million d’habitants par an, qui ramènera sa population à moins de 120 millions d’habitants au milieu de ce siècle.
- Au sein de l’Union Européenne, le nombre moyen anticipé d’enfants par femme est remonté de 1,5 à 1,6. L’amélioration s’observe notamment en Grande-Bretagne, dans les pays nordiques et dans certains pays d’Europe du Sud comme l’Espagne ou la Grèce, mais pas en Italie ni en Allemagne. Nos voisins d’outre-Rhin s’inquiètent aujourd’hui de la chute libre annoncée de la population de ce que leurs médias baptisent déjà la « république des retraités » : l’Allemagne, où le taux de fécondité stagne à 1,3 enfant par femme, devrait en effet perdre 20 % de sa population en un demi-siècle ; un habitant sur trois aura alors plus de 65 ans, 60 % de la population allemande ne sera plus en âge de travailler, et les plus de 80 ans seront aussi nombreux que les moins de 20 ans : 14 % du total pour chaque catégorie. Ce triste cas mis à part, même au Japon, qui avait l’indice de fécondité le plus bas du monde avec l’Europe de l’Est et du Sud, l’indice a légèrement remonté, passant de 1,3 à 1,4.
- Les Etats-Unis sont beaucoup mieux lotis puisque les Américaines dépassent maintenant le seuil critique de renouvellement de 2,1 enfants par femme. Compte tenu de l’immigration, la population du pays devrait, de ce fait, atteindre 440 millions au milieu de ce siècle contre un peu plus de trois cents actuellement.
- Quant à la France, elle jouit, sur ce plan, d’une situation enviable puisque son taux de fécondité, voisin de 2 enfants par femme, est maintenant le plus élevé d’Europe et assure presque le renouvellement des générations. Il naît maintenant régulièrement plus de huit cent mille enfants par an en France (DOM inclus), soit autant en valeur absolue qu’à l’époque du « baby boom ». De ce fait, notre pays, qui était le plus vieux du monde entre les deux guerres mondiales, vieillira moins que ses voisins ; la part des plus de 65 ans dépasserait tout de même un quart du total en 2050.
Dans les pays en développement
Les préoccupations sont inverses dans le monde en développement, où une population trop rapidement croissante fait peser des charges difficilement supportables sur des pays très pauvres, et les empêche de sortir de la misère, mais aussi de contribuer à l’équilibre écologique de la planète : un tout récent rapport du Fonds des Nations-Unis pour la Population conclut, en effet, qu’un dollar investi dans le planning familial et l’éducation des filles réduit l’émission des gaz à effet de serre au moins autant qu’un dollar dépensé en éoliennes !
- Dans leur ensemble, les pays du Sud ont considérablement freiné leur croissance démographique ; la Chine, par exemple, est tombée bien en-dessous du seuil de renouvellement des générations, avec un taux de fécondité de 1,6 enfant par femme seulement. Il est vrai qu’il s’agit d’une statistique officielle, bon nombre de naissances restant cachées aux autorités... Ce qu’on sait moins, c’est que le freinage démographique est déjà très avancé dans les pays du Maghreb, puisque le taux de fécondité est tombé à 2,3 enfants par femme en Algérie et au Maroc, et 1,9 seulement en Tunisie.
- La mauvaise surprise est que l’exception de l’Afrique Subsaharienne, qui était déjà marquée, s’accentue au lieu de s’effacer. Le continent noir est, en effet, le seul actuellement où la fécondité se maintient à un niveau très élevé : 4,8 enfants par femme, contre 2,6 en moyenne mondiale. L’Afrique, qui ne comptait que 225 millions d’habitants en 1950, a vu sa population quadrupler depuis, et vient de dépasser le cap d’un milliard. Ce chiffre doublera encore d’ici le milieu du siècle. En 1950, moins d’un humain sur dix était africain ; cent ans plus tard, ce sera plus d’un sur cinq. 43 % des habitants d’Afrique Subsaharienne ont moins de quinze ans, et la majorité de la population a moins de seize ans dans des pays comme l’Ouganda ou le Niger. La population de ce dernier état, zone semi-aride déjà menacée par la famine, passerait de 15 millions aujourd’hui à… 58 millions en 2050 ! La dynamique démographique de l’Afrique Noire est si explosive qu’il naît chaque année dans le seul Nigéria plus de bébés que dans l’ensemble des 27 pays de l’Union Européenne : six millions contre cinq.
- Cet écart croissant entre l’Afrique Subsaharienne et le reste du monde en développement s’explique : ce continent est malheureusement aussi celui où l’insécurité et la corruption freinent le plus les progrès de l’économie et de l’éducation. Or, c’est dans la croissance et dans l’éducation, surtout celle des femmes, beaucoup plus que dans l’usage de moyens extrêmes comme les stérilisations pratiquées à plus ou moins grande échelle en Chine et en Inde par exemple, que réside la solution. Il est bien établi que la natalité décroît spontanément quand un pays s’enrichit ; et les spécialistes soulignent que l’autonomisation des femmes, une meilleure éducation des jeunes filles et le droit à la santé maternelle et au planning familial offrent l’autre clé du rééquilibrage.
Au total, on peut constater que la « bombe démographique » tant annoncée, n’explosera pas, sauf en Afrique. Il est d’autant plus urgent de nous pencher bien plus activement sur le sort de ce continent trop souvent délaissé.
Texte de Philippe Jurgensen
Ecoutez également toutes les chroniques de Philippe Jurgensen :