Le geste libre d’Hans Hartung au sein de l’aventure abstraite

Les peintres du XX e siècle, une chronique de Lydia Harambourg
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Peintre majeur de l’abstraction lyrique, Hans Hartung (1904-1989) est à l’origine de l’abstraction gestuelle et du tachisme après la Seconde guerre mondiale. L’historienne et critique d’art Lydia Harambourg, correspondante à l’Académie des beaux-arts dans la section peinture, s’intéresse pour sa première chronique sur l’histoire des peintres du XX e siècle à l’académicien disparu en 1989 qui était membre de l’Académie des beaux-arts.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : chr660
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Figure pionnière de l’abstraction lyrique, il est reconnu comme le père du tachisme. Il est à l’origine de l’abstraction gestuelle qu’il a contribué à imposer sur la scène artistique française après 1945.
Hartung est né à Leipzig en 1904 dans une famille de médecins, musiciens amateurs dont il hérite une sensibilité musicale, et une curiosité qui va du baroque à la musique dodécaphonique, en écho permanent à sa peinture.

Hartung, Titre : T1956-9, date : 1956  Dimensions : 180 X 137 cm, huile, toile, collection de la Fondation Hartung Bergman
© Fondation Hartung Bergman

Sa vocation précoce dont il a lui-même raconté la genèse (in Autoportrait, Grasset, 1976) s’enracine dans l’instinct, la fulgurance et le signe.
Tout commence dès sa petite enfance. Il est âgé de six ans. Hans raconte :
Sur un de mes cahiers d’écolier, j’attrapais au vol les éclairs dès qu’ils apparaissaient. Il fallait que j’ai achevé de tracer leur zigzag sur la page avant que n’éclate le tonnerre. Ainsi je conjurais la foudre. Rien ne pouvait m’arriver si mon travail suivait la vitesse de l’éclair. Ils m’ont donné le sens de la vitesse du trait, l’envie de saisir par le crayon ou le pinceau, l’instantané, ils m’ont fait connaître l’urgence de la spontanéité.


La passion du dessin ne le quittera plus. Il fait ses études de lettres classiques, de philosophie, d’histoire de l’art à Bâle, Leipzig, Dresde et Munich.

Dès 1922, apparaissent les tracés noirs et les taches colorées constitutifs de sa pratique, qui se développera entre volonté et hasard.
Vous faites encore vos horribles taches d’encre pour former le sujet lui disent ses professeurs.
J’aimais mes taches....Ces taches qui peu de temps après, devaient demander leur autonomie et leur liberté entière. Quelle joie ensuite de les laisser libres de jouer entre elles, d’acquérir leur propre expressivité, leurs propres relations, leur dynamisme sans être asservies à la réalité.


Le jeune Hans se passionne pour l’astronomie et construit son propre télescope grâce auquel il observe des fragments du réel, dont l’apparence abstraite anticipe sur ses futures préoccupations plastiques. Il s’intéresse aussi à la photo qu’il pratiquera toute sa vie. Un complément indispensable qui lui permet de fixer l’éphémère, des portions de la réalité visible à l’œil. Son enthousiasme pour Rembrandt décide de son choix :
Je découvre que Rembrandt faisait aussi des taches. Des taches qui existent par elles-mêmes, par leur rythme, leurs couleurs, leur expressivité. Après je sus que je serai peintre.

Lydia Harambourg, 22 mars 2011, Canal Académie
© Canal Académie




Il n’a que 18 ans, et contrairement à Kandinsky et à Malévitch, se tourne instinctivement vers l’abstraction.

Ses aquarelles informelles portent les prémices de la spontanéité de son geste sous l’influence des expressionnistes allemands.
Pour mes premières aquarelles abstraites réalisées à Dresde en 1922, j’avais acheté une de ces petites boîtes de couleurs à l’aniline, plus pures et plus intenses. La tache y devenait libre, elle s’exprimait par elle-même, par sa forme, par son intensité, par son rythme, par sa violence, par son volume.


Dès 1930, le langage d’Hans Hartung est dans l’autonomie de la couleur et du graphisme noir. Entre maîtrise et vitesse, son geste expressif ne cessera de s’enrichir en une soixantaine d’années où chaque expérimentation agit sur la pratique de ses différentes techniques : peinture, encres, dessins, gravures, photographies, pour lesquelles il s’invente des outils (larges brosses, pistolets et aérographes, rouleaux de typographe), et recourt à des matériaux nouveaux : les peintures vinyliques et acryliques.


Le peintre et l’homme ne font qu’un dans leur engagement pour une vie sans compromission. Pour Hartung, la liberté est la réponse à son destin qui refuse la fatalité.


Il parcourt l’Italie à bicyclette et arrive à Paris en 1926 où il séjourne jusqu’en 1931, entrecoupé de voyages en Hollande, en Belgique. Il multiplie les copies dans les musées, s’intéresse à Matisse, Picasso, Rouault, Cézanne, Van Gogh.


En 1929, Hans a rencontré une jeune peintre norvégienne Anna- Eva Bergman, qu’il épouse.


Commence une période expérimentale et d’errance pour le couple pendant la lente montée du nazisme qu’il combat.
Hans et Anna-Eva vivent dans une île au sud de la Norvège, puis à Fornells, un port de pêcheurs à Minorque. Hans y fait bâtir sa première maison selon ses propres plans : un grand cube blanc dont il reprendra l’idée quarante ans plus tard, lorsque entre 1970 et 1973, il fera construire à Antibes, à partir de ses plans, sa villa et les ateliers respectifs pour lui et sa femme. La Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman y est installée aujourd’hui, dans le Champ des Oliviers.


A chaque atelier nouveau, correspond une étape nouvelle. A Paris où il s’installe en 1935 après avoir fui Berlin pour échapper à la police par son refus d’obtempérer à un art de propagande, il revient à ses essais de jeunesse. Jusqu’à la fin des années trente, ses taches d’encre présentent toutes les caractéristiques de son graphisme servi par une maîtrise technique, où son improvisation est en liberté surveillée.


Sa volonté irréversible de liberté le pousse à s’inscrire sur la liste des volontaires contre l’hitlérisme, et à la fin de 1939 à s’engager dans la Légion étrangère, après s’être remarié en juillet avec Roberta Gonzales, la fille du sculpteur Julio Gonzales, ami de Picasso. Hartung a divorcé d’Anna Eva Bergman qui est retournée vivre en Norvège.


Créateur à la stature exceptionnelle, Hartung n’a jamais dévié de ses engagements. Il pousse son combat dans ses limites ultimes.
La démobilisation le mène dans le Lot avec la famille Gonzales. Avec l’occupation de la zone libre, Hartung fuit en Espagne, aidé par Picasso, puis est incarcéré dans les prisons franquistes avant de rejoindre une seconde fois la Légion. C’est lors de l’attaque de Belfort que gravement blessé, il doit être amputé d’une jambe.

De retour à Paris, fin 1945 il recommence à peindre et est naturalisé français.


Hartung refuse de toutes ses forces un destin inflexible.


Peindre exige une énergie dispensée par son sens de la liberté.


Rester libre. D’esprit, de pensée, d’action. Ne pas me laisser enfermer, ni par les autres, ni par moi-même. Telle est sa devise.


En dépit de l’absence d’une reconnaissance entre 1921 et 1945 due à son isolement, l’œuvre prend sa place.

Le destin veille et lui réserve un éblouissement providentiel avec la rencontre fortuite avec sa première femme, en 1952, au musée d’Art moderne de la ville de Paris qui présente une rétrospective de Julio Gonzales. Après avoir divorcé chacun (Anna-Eva s’était remariée en 1944) ils se remarient en 1957.


A cette époque Hartung s’impose comme le précurseur de l’Action painting de Pollock, de Kooning, Kline, et de l’abstraction lyrique qui commence à être reconnue.


Une première exposition personnelle à Paris en 1947 galerie Lydia Conti avec 13 toiles datées entre 1935 et 1947, d’une intensité tragique pour Charles Estienne.
Il participe aux expositions collectives qui imposent l’abstraction lyrique aux côtés de Mathieu, Bryen,Wols, Schneider, Soulages, Riopelle. Il participe au Salon de Mai, vitrine de toutes les avant-gardes.


Hartung peint et dessine. Des taches et des formes grises, un trait solide en clayonnage amorcent une nouvelle orientation. L’élégance du trait appuyé ne ressemble à aucune autre écriture. Les masses ponctuent la surface tandis que les lignes noires achèvent la composition. Le geste modifie le graphisme qui évolue sous l’influence de médiums. La largeur du trait évoque des poutres qui structurent ses toiles jusqu’en 1955.


Dans les années soixante, Hartung pousse toujours plus loin ses investigations dans l’informel. Son esprit pionnier toujours aussi offensif, il expérimente les couleurs vinyliques qui sèchent rapidement et que l’on peut diluer. Hartung peint directement sur la toile et réutilise les mêmes gestes nés de son travail de la gravure en recourant aux rouleaux, et coïncident avec l’agrandissement du signe. Il raye de manière répétitive la couche picturale. Des incisions filiformes contrastent entre elles tandis que des jaunes, des oranges, des bleus, blancs éclatent sur un fond noir.


Le geste est tout à la fois libéré et retenu, grâce aux outils qu’il teste pour multiplier les effets graphiques : il se fabrique des balais faits de genêts encrés, qu’il fouette sur la toile. Le geste plus ample déborde de la toile comme chez Pollock. La violence se lit dans la rapidité des griffures inscrites sur la surface, auparavant pulvérisée par un pistolet à peinture qui dispense un halo libre de tout signe. Inventeur, Hartung se donne les moyens de son expression La sulfateuse pour projeter la peinture, le tuyau d’arrosage qui projette les couleurs sur la toile.
Son œuvre refuse toute référence au monde extérieur comme tout état d’âme.

Nous entrons dans l’inconnu, dans la zone du pas-encore créé,
dit-il.


Dès ses débuts Hartung qui refuse tout titre adopte un principe rigoureux Une lettre indique la technique (T toile, G gouache, P pastel, C Charbon, ) suivie de l’année puis d’un numéro.


En 1960 il est lauréat du Grand Prix international de peinture à la Biennale de Menton.

1970 il reçoit le Grand Prix des Arts de la Ville de Paris.

En 1977 Hans Hartung est élu à l’Académie des Beaux-Arts


Dès 1957 des expositions rétrospectives rendent hommage à ce peintre majeur du XX e siècle.

Il s’éteint le 7 décembre 1989 et ses cendres sont dispersées dans la Méditerranée.



L’art me paraît être un moyen de vaincre la mort.





Auteur : Lydia Harambourg



Pour en savoir plus

- Hans Hartung, dans L'École de Paris 1945-1965, Dictionnaire des peintres, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1993, 2010 2e édition, de Lydia Hrambourg

- Lydia Harambourg sur le site de l'Académie des beaux-arts

- Site de la Fondation Hartung Bergam à Antibes

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