Les mots des religions : démon, diable, Satan
Plusieurs termes servent à désigner la figure du mal : démon, diable, Satan. Sylvie Barnay rappelle comment le legs de la Bible a alimenté les figurations chrétiennes du Moyen Age, comment les Pères de l’Eglise ont présenté Lucifer, ange déchu, et elle apporte des précisions sur les différentes appellations du diable dont les représentations anciennes inspirent encore celles de nos jours.
Dans la tradition judéo-chrétienne, le diable est présenté comme le tourmenteur de l’humanité. Dans l’Ancien Testament, dès le livre de la Genèse, il prend la forme d’un serpent. Dans le livre de Job, figure emblématique de l’homme en prise avec le mal, il est personnifié. Le Nouveau Testament insiste sur sa position d’adversaire de l’humanité. Le livre de l’Apocalypse amalgame ensemble les termes de « dragon », de « serpent ancien » présenté également comme « diable et Satan » (Ap. 20, 2-10).
Le legs biblique alimente les représentations médiévales. Sous des apparences multiformes et de nombreux noms – Lucifer, Belzébuth, Bélial etc… -, le diable est omniprésent dans la culture. A partir du VIe siècle, il devient « le prince de ce monde » (Jn 12, 31). Les théologiens accordent une grande attention au diable tout en s’écartant d’une conception dualiste. Les Pères de l’Eglise présentent en effet Lucifer non pas comme un principe, mais comme le premier des anges, créature spirituelle chassée du paradis céleste pour avoir voulu égaler Dieu par son orgueil. Il est ainsi condamné à demeurer éternellement sur terre et dans les profondeurs infernales. Il est une créature de Dieu qui reste soumis à la volonté divine après la Chute. Le péché originel d’Adam et Eve tentés par le serpent est alors présenté comme une revanche du diable…
Par la suite, toute une démonologie savante contribue à développer la réflexion sur le démon et ses multiples formes. Croyances, récits et images déclinent ainsi à l’infini les différentes facettes des pouvoirs du Malin : possession, tromperie, tentation. L’histoire de Théophile répandue à partir du IXe siècle et largement diffusée sur les tympans des églises et des cloîtres montre que l’homme n’est jamais à l’abri d’un pacte avec le diable, à l’instar de Théophile qui a vendu son âme au diable mais qui est sauvé par la Vierge Marie. L’Eglise le tient aussi sous contrôle par le biais des sacrements (baptême, pénitence) mais aussi les rites (exorcismes, bénédictions, consécrations)… Elle prescrit aussi des attitudes et des gestes efficaces : jeûne, prières, signe de Croix etc… et essaie de mener un combat victorieux contre lui par le recours au Christ et aux saints.
Dans l’iconographie chrétienne, les figurations du diable qui se développent surtout à partir du IXe siècle sont innombrables. L’iconographie de la Chute des anges insistant sur le caractère monstrueux et animal (bouc, serpent, oiseau noir, rat, dragon, lion…) du diable se développe surtout au lendemain de l’an mille. Ce dernier conserve une allure anthropomorphe, mais les images insistent sur sa laideur et sa bestialité. La chasse aux sorcières menée à la fin du Moyen Age - qui prend sa source dans la démonologie savante - renforce la croyance au diable amalgamé progressivement avec toutes les peurs que combat l’homme médiéval. Avatar du monstre de la culture moderne, le diable de la culture médiévale est aussi à l’origine des représentations les plus contemporaines.
Sylvie Barnay
Maître de Conférences à l’Université de Metz
Chargée de cours à l’Institut catholique de Paris