Les mots des religions : Evangélisation
Que signifie « évangélisation » dans le vocabulaire et la foi protestante ? Le théologien, journaliste, pasteur évangélique et auteur de « La Bible pour les Nuls », Eric Denimal livre sa reflexion dans cet entretien avec Virginia Crespeau.
« Le chrétien aime transmettre sa foi, pas simplement dans le cadre de sa famille, de ses enfants, de ses amis ou relations, mais il a mission de dire la Parole. Jésus a dit à ses disciples, à la fin de son ministère « Maintenant allez, par le monde, évangéliser, transmettre la bonne nouvelle ». Transmettre la bonne nouvelle, évangéliser, c'est la même chose.
Jésus dit aussi : « Maintenant allez au-delà de Jérusalem, au-delà de la Judée jusqu'aux extrémités du monde » : le message de Jésus-Christ donc l'Evangile devint non seulement universel mais il a pris le risque, selon moi, de devenir conquérant.
En effet, qu’entend-on par « faites des disciples » ? Cela signifie-t-il faire des adeptes ? Cela veut-il dire : « Convertissez » ? Tous ces mots-là sont difficiles…
Peut-on parler d’une campagne d'évangélisation comme on parle d'une campagne militaire ? C'est un langage dur, des mots forts…
C'est la raison pour laquelle je parle de religion « conquérante » mais si aujourd'hui le christianisme se montre peut-être moins évangélisateur, c'est sans doute parce que nos sociétés ont relégué la foi dans la sphère du privé.
Le chrétien voudrait bien transmettre sa foi sans qu'on l'accuse d'être un prosélyte, un conquérant, un convertisseur...
Dans le même temps, il sait que reléguer la foi uniquement dans le domaine privé, correspondrait à restreindre considérablement la portée du message de la Parole sur la personne mais aussi sur la société dans son ensemble.
Jésus-Christ a annoncé la bonne nouvelle, a apporté la parole sans jamais chercher à convaincre d'une façon oppressante. Malheureusement, bien souvent au cours de l’Histoire, il a fallu choisir entre la foi que les gouvernants proposaient et le bûcher : le nombre des conversions en ces temps-là était donc assez considérable, on comprend aisément pourquoi.
Le piège à éviter est le suivant: quand on est dépositaire d'un message, quand on a la mission d'aller le transmettre, on a souvent tendance à se placer automatiquement au niveau de celui qui enseigne, donc du maître, de celui qui est au-dessus et que les autres doivent écouter, doivent accepter…Et là, il y a une tentation humaine extraordinaire de prendre un pouvoir sur ceux à qui on apporte un enseignement. Cela est une position quasi instinctive de pouvoir ; la tentation énorme à laquelle l'homme succombe très volontiers est de prendre ce pouvoir pour l'exercer sur les autres.
De ce fait, le message de Jésus qui devait être un message de libération, un message d'amour, un message d'égalité etc… est devenu, à certains moments historiques, un message d'oppression, un message dont les dépositaires ont voulu garder la force, le pouvoir, l'autorité : et de l'autorité à l'autoritaire, il n'y a vraiment pas de grande distance, la cloison est très mince.
Les religions sont toutes porteuses de messages de paix, quand cette paix n'est pas trafiquée et quand les messagers ne sont pas devenus des dictateurs…
La belle et grande capacité de L’Évangile est, me semble-t-il, de s'emboîter, si j'ose dire, dans toute culture, d'y apporter des transformations sans pour autant dénaturer cette culture, peut-être est-ce ce que Chateaubriand appelait le génie du christianisme.
Je crois que dans le protestantisme, il y a un grand courant peut-être trop en réserve, qui vit sur son passé, et qui devrait redevenir un petit peu plus évangélique et puis il y a une toute mouvance évangélique qui peut avoir une certaine agressivité dans sa façon de transmettre le message, qui du coup, transforme cette annonce en pression avec un sentiment d'urgence.
Toutes sortes de messages évangéliques se calquent sur des messages apocalyptiques et là, à mon sens, il y a risque d'instrumentalisation de la parole, du message et exercice d'une pression sur la personne par le biais de l’émotion ; on joue à la fois sur la peur et sur la grande dimension sentimentale, on joue sur ces deux pôles-là en passant du chaud au froid et au résultat, on déstabilise la personne ; alors que, rappelons-le, inlassablement et de toute éternité : le message de l'Evangile apporte la sérénité.
Propos d'Eric Denimal.