Les mots des religions : "la Parole" (1/2)

une spiritualité de l’oreille et de l’écoute, avec le pasteur Laurent Schlumberger

Le pasteur Laurent Schlumberger, président de l’Eglise Réformée de France, nous offre une réflexion autour du mot « parole ». La Réforme a mis Dieu et sa parole au centre de la vie, tant dans le plan des églises que dans le culte. Il explique ce passage d’une spiritualité de la lecture à une spiritualité de l’écoute. Sa réflexion se propose en deux volets dont voici le premier.

On parle souvent des protestants comme du peuple du livre ou de la Bible, il serait plus exact de dire, même si la lecture des textes bibliques est au cœur de leur foi, qu’ils sont le peuple de la parole.
La Réforme peut être vue comme le passage d’une spiritualité de l’œil ou du regard à une spiritualité de l’oreille ou de l’écoute.

Dans le Moyen-âge finissant, l’œil est constamment sollicité : Les cathédrales par leurs sculptures, leurs vitraux, leur architecture intérieure favorisent le regard. Avec la Réforme, le plan des églises est transformé pour permettre l’écoute : dépouillement, chaire latérale d’où le prédicateur s’adresse à l’assemblée. La parole est centrale dans les cultes : Bible ouverte sur la table de communion, prédication du pasteur, participation des fidèles par les chants. Car « La foi vient de ce que l’on entend », disait l’apôtre Paul (Épître aux Romains, chapitre 10). Ce passage de l’œil à l’oreille est une transformation de la manière de voir le monde : avec l’œil, le monde s’organise autour de vous. L’oreille vous décentre et vous décale.


Luther prêchant devant l’assemblée des fidèles dans l’église de Wittenberg (par L. Cranach l’ancien)




On fait un même genre de découverte en astronomie au XVIe siècle : Copernic démontre que la Terre n’est pas au centre de notre monde mais qu’elle tourne autour du soleil.
La Réforme a mis Dieu et sa parole au centre et c’est une révolution spirituelle, sensorielle et intellectuelle.
Mais la Réforme, c’est d’abord une prise de parole : le moine Luther a eu l’audace inouïe de prendre tout seul la parole face au Pape et face à l’Empereur. Et depuis, les protestants se sont emparés de la parole et l’ont exercée, pratiquée d’une triple manière :

- Parole pour le peuple et pour son éducation : par des prédications, des discours d’édification, des sermons. Les pasteurs sont des enseignants qui transmettent des connaissances et une autonomie dans la réflexion. Les livres relaient et démultiplient ces paroles. Mais aussi en créant des écoles, des académies (comme Calvin le fit à Genève).

- Parole pour le débat : polémiques, et même controverses (surtout au XVIe siècle). La parole est aiguisée, parfois tranchante.

- Parole qui ne se fonde pas en elle-même mais qui se réfère toujours à une autre parole, celle de Dieu, qui résonne au travers des textes bibliques. Les protestants ne se réfèrent pas à la tradition des anciens commentateurs ni au Magistère (ce que l’Église enseigne aujourd’hui).

Laurent Schlumberger, invité de cette émission

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