Les mots des religions : "Mission" 2/2
Jean-Arnold de Clermont, ancien Président de la Fédération protestante de France et actuel Président du service protestant de mission, le DEFAP, rappelle que 2010 est l’année du centenaire d’une conférence internationale qui a réuni à Édimbourg les grands organismes missionnaires de la planète, souhaitant l’engagement des Églises vers plus d’autonomie et celui des communautés vers la mission.
Du 14 au 23 juin 1910 se tenait à Édimbourg une Conférence internationale réunissant 1200 représentants des principaux organismes missionnaires d’Amérique du nord et d’Europe ; tous protestants ! Ni catholiques ni orthodoxes. Pourtant cette conférence est considérée comme le point de départ du mouvement œcuménique, dans la mesure où l’objet en était la « coopération dans la mission » avec ce mot d’ordre ambitieux : « l’évangélisation du monde durant cette génération ! » Le 21 juin eut lieu une communication sur le thème de la coopération et de la promotion de l’unité qui eut un écho remarquable et conduisit la conférence à donner naissance à un comité de continuation qui, après la première guerre mondiale, initia le Conseil international des missions en 1921, qui lui-même donna naissance au Conseil œcuménique des Églises.
"Si pour parler des missions, précise Jean-Arnold de Clermont, j’évoque cette Conférence internationale d’Édimbourg, c’est parce qu’elle figure, à mes yeux de protestant, comme
un tournant après quasiment un siècle de mission en Afrique. Il y a un « avant » Édimbourg, comme il y aura un « après » Édimbourg. Pour nous, protestants de France, tout a commencé en 1822 en relation avec la Mission de Londres (London Missionnary Society) qui suscite en France dans les milieux piétistes des cercles de prière pour soutenir l’œuvre missionnaire. De la prière on passe à l’action. Des pasteurs, enseignants et artisans protestants français vont bientôt partir pour l’Afrique…
Au milieu du XIXe siècle ce sont des dizaines d’entre eux qui partent avec la conviction qu’il est possible de donner naissance à une société où l’Évangile règnera. Ils partent, mais peu reviennent, notamment de l’Afrique de l’ouest. Ils sont terrassés par les maladies tropicales. Mais portés par le sens de l’urgence d’établir ces sociétés chrétiennes nouvelles, ils vont former des collaborateurs africains.
Le plus bel exemple, bien que n’étant pas issu de la Mission de Paris, est sans doute celui de Samuel Adjaï Crowther, enfant d’esclave, devenu évêque anglican du Niger dans les années 1880. Il est le modèle d’une Église africaine missionnaire.
Mais il est simultanément le témoin du renversement de l’esprit missionnaire, rendu possible, il faut le dire par les progrès de la médecine et de ses effets remarquables pour donner une vraie espérance de vie aux missionnaires occidentaux.
En parallèle au développement de la colonisation occidentale, les missionnaires peuvent s’installer dans la durée. Ce sont eux qui construisent des stations missionnaires, micro modèles de société alternative où éducation, formation et spiritualité vont ensemble, sous la direction du missionnaire.
Dans le pluralisme ecclésiologique protestant, chaque mission issue d’une famille confessionnelle différente crée son réseau, sa zone d’influence, le plus souvent sous couvert de l’administration coloniale.
Les protestants français sont en Afrique de l’ouest ; au Lesotho, royaume indépendant ; à Madagascar, dans les pas de la London Missionnary Society… puis au Cameroun, au Togo, au Dahomey à la suite de la Première guerre mondiale. Des relations existent entre Sociétés de Mission, mais le pluralisme fait question d’où, entre autres raisons, la Conférence d’Édimbourg.
Et notre invité de continuer : " Édimbourg ouvre un nouveau siècle qui sera marqué, à mes yeux, par deux étapes essentielles du mouvement missionnaire :Le premier est le temps des autonomies des Églises d’Afrique et du Pacifique. Après Édimbourg, les champs de mission continuent de se développer. Dans chaque pays où nous sommes présents existe une Conférence missionnaire qui porte la responsabilité du gouvernement de l’Église locale. Elle a donné naissance, le plus souvent, à une structure synodale qui gère la vie de l’Église mais où les missionnaires gardent un rôle prépondérant.
Cependant du fait de l’émergence de véritables responsables « autochtones », comme cela se vit dans l’administration civile des pays, se développe l’idée d’une autonomie des Églises.
Elle devient réalité au Cameroun en 1957 et progressivement dans la plupart des pays ou Départements d’Outre-mer où est présente la Société des Missions de Paris.
La Conférence missionnaire se saborde ; les missionnaires se mettent au service de l’Église locale autonome qui désormais les salarie ; ce passage se fait sans heurt, plusieurs missionnaires étant élus dans les instances dirigeantes des nouvelles Églises.
Parallèlement la Société des Missions de Paris demande aux Églises de France de maintenir leur soutien en hommes et en finances aux Églises autonomes. Il faudra une quinzaine d’années pour que la suite logique de cette évolution prenne forme : des Églises autonomes, de France, de Suisse, d’Italie, du Cameroun, du Togo, de Madagascar, du Pacifique… constituent une Communauté d’Églises en mission, la Cevaa.
La mission devient tâche commune, partagée. Parallèlement la Société de Mission disparait au bénéfice d’un instrument au service des Églises de France pour les équiper pour ce partage, le Defap.
Le pasteur de Clermont poursuit : "Vient un deuxième temps, dans le prolongement de ce que je viens de rappeler : la mission adaptée à la mondialisation.
La mission dans le temps présent, dont l’une des caractéristiques est celle des migrations, vues comme le développement logique de la libre circulation des êtres humains.
Au niveau mondial, les migrations représentent plus de 200 millions d’individus avec des prévisions en forte croissance pour les années à venir. Les raisons en sont bien connues : la pauvreté, le climat, les conflits, la mal gouvernance politique…
Toutefois seul un tiers d’entre eux a migré du sud vers le nord, vers un pays plus développé.
Cette dimension caractéristique de la mondialisation a eu un effet que je qualifie de « révolutionnaire » sur notre compréhension de la mission.
Le protestantisme français, par exemple, comprend désormais plusieurs centaines de communautés protestantes issues de l’immigration.
Plusieurs raisons pour l’existence de ces communautés « autonomes », des bonnes et des mauvaises… mauvais accueils par les « autochtones », volonté de se placer de « pasteurs » immigrés, nécessités culturelles, etc.
Mais il est clair que nous ne pouvons plus comprendre la mission comme l’affaire des seules Églises du nord, elle est partagée entre Églises du Nord et Églises du sud ; plus encore, elle doit être partagée dans notre propre pays entre « autochtones » et « immigrés ».
La mission dans la mondialisation doit être au bénéfice de l’interculturalité.
Ecoutez le premier volet de cette émission : Les mots des religions : "Mission" 1/2
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