Les mots des religions : Sacrement
D’où vient le mot sacrement et comment est-il passé du droit romain au vocabulaire chrétien ? Pourquoi et à quelle époque en est-on arrivé à fixer sept sacrements ou à n’en reconnaître que deux ? Sylvie Barnay, chargée de cours à l’Institut Catholique de Paris, répond à toutes ces questions sans omettre d’évoquer les principales oeuvres d’art qui en ont fait leur sujet central.
Le sacrement est un signe et un rite. Dans le christianisme, il est le signe de la nouvelle alliance qui actualise la présence du Christ au milieu des hommes désignée au départ par le terme grec « mysterion ». Il fait l’objet d’un rite.
Le terme « sacrement » est issu du latin. Dans l’Antiquité, le terme « sacramentum » a une double signification : il renvoie d’une part à la caution en nature ou en argent déposée au temple par les deux partis d’un procès et d’autre part au serment accompagnant la déposition de la caution. Quiconque s’engageait ainsi « per sacramentum » s’obligeait à une sacratio, c’est-à-dire à devenir « sacer » ou « maudit des dieux » s’il venait à manquer à ses obligations. Selon le droit romain, tout manquement au « sacramentum » conduisait ainsi les personnes à perdre leur personnalité juridique et à être livrées à une forme de mort civile.
C’est Tertullien, au IVe siècle, qui donne un sens chrétien au terme « sacramentum ». Il applique le terme de « sacramentum » aux signes chrétiens mais aussi au rite de l’eucharistie. Le chrétien, en cas d’infidélité, se voue à une forme de « sacratio ». Les premiers débats sur la compréhension du sacrement apparaissent à la toute fin de l’Antiquité tardive. C’est surtout au XIIe siècle que la définition théologique du « sacramentum » s’affine. Les théologiens énumèrent ainsi cinq, dix ou douze sacrements. Abélard par exemple en évoque cinq, Bernard de Clairvaux, dix, Pierre Damien, douze. C’est le moment où le Moyen-Age cherche aussi à préciser le nombre de joies ou de douleurs de la Vierge Marie, également diversement fixées par les théologiens à quatre, cinq, puis sept. Après de longs débats, les sacrements comme les joies de la Vierge sont également fixées au nombre de sept. C’est le concile de Lyon II en 1274 qui fixe ainsi définitivement les sept sacrements :
- Le baptême
- L’eucharistie
- La confirmation
- Le sacrement de réconciliation (appelé aussi sacrement de pénitence)
- L’onction des malades
- Le mariage
- Le sacrement de l’ordre
Les sacrements sont alors définis comme des signes visibles du don gratuit de Dieu institués par le Christ et confiés à l’Eglise. Progressivement, les théologiens regroupent ces sacrements en trois groupes : les sacrements d’initiation (baptême, confirmation, eucharistie) ; les sacrements de guérison (réconciliation, onction des malades) ; les sacrements de l’ordre (mariage, ordre). Par la suite, l’expression « derniers sacrements » désigne l’eucharistie et l’extrême-onction donnée à un mourant. L’approche des sacrements est aujourd’hui renouvelée par les apports des sciences humaines et de la philosophie du langage (exemple des travaux de Louis-Marie Chauvet en ce domaine sur Symbole et sacrement). Vatican II définit l’Eglise comme « sacramentum ».
L’art prend la relève de la théologie et représente les sept sacrements, comme par exemple Roger Van der Weyden (1399-1464) dans le Retables des sept sacrements (Musée des Beaux-Arts d’Anvers).
La poésie, par exemple Charles Péguy , décrit les sacrements comme « un emploi du temps de l’homme. Ils sont, ils font une sorte d’échelle irréversible de la vie (et de la mort). Le baptême qui sanctionne l’entrée dans la cité chrétienne (…). La confirmation qui fait l’entrée dans le commerce avec le Saint-Esprit ; l’ordre qui fait l’entrée dans le ministère, l’état sacerdotal dans l’état de prière ; le mariage qui (…) fait surtout un entrée en ménage… ; l’extrême-onction qui fait littéralement pour ainsi dire une entrée dans l’état de mort (…). Les sacrements rejoignent ainsi chaque homme dans son devenir.
Dans les églises protestantes, le sacrement comme le signe, associé à la parole de Dieu, « rend présent le Christ ». En règle générale, ces églises ne reconnaissent comme sacrement que le baptême et l’eucharistie. Comme le dit encore le théologien Urs von Balthazar, les sacrements sont autant d’événements qui « taillent pour ainsi dire dans l’écoulement continu du temps des encoches où (leur) pied puisse s’appuyer dans sa marche vers l’éternité ».
Sylvie Barnay
Maître de conférences à l’Université Paul Verlaine-Metz
Chargée d’enseignement à l’Institut Catholique de Paris
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